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Laurent Ducastel Ecrivain
15 février 2016

UNE FOIS DE TROP

    Simon faisait partie de ces types, assez nombreux en banlieue, pour qui l’ennui était une occupation à plein temps. Des tas de journées à glander au café constituaient donc l’essentiel de son existence. Comme beaucoup, il avait quitté l’école de bonne heure passant directement du statut de cancre à celui de chômeur. De temps en temps, il trouvait un petit job au black, histoire de mettre du beurre dans les épinards. En fait, rien de vraiment sérieux. Il passait donc le plus clair de son temps à jouer de la batterie dans des groupes du coin et à se déchirer copieusement aussi souvent que possible. Un jour, un type s’était pointé au café avec de la dope et Simon n’avait pas traîné pour sympathiser avec ce fléau. Tout son pognon avait dès lors filé droit dans ses veines et bien vite ces maigres illusions furent réduites en poussière. Jusqu’au soir où Anna, sa copine, avait pris, seule, un aller simple pour l’au-delà. Il l’avait trouvé sur le lit. Les yeux fixés, perdus dans le vide, un filet de bave coulait encore de sa bouche radieuse. Son corps était toujours chaud, mais la vie, la salope, avait mis les voiles. Simon avait appelé les pompiers, le SAMU. En vain. Elle était restée inerte, de plus en plus froide, raide tandis que le sang noircissait dans son cou. D’overdose en tentative de suicide, de désintoxication en rechute, il avait fini par en sortir. Amoché, éreinté, mais vivant.

   Retour à la case départ. Chez ses parents, sans un rond, sans plus d’ambition que de vivre au jour le jour, un pas après l’autre. Seulement, ses parents, et son père surtout, n’en pouvaient plus de l’avoir sur les bras, après toutes ces années passées sans que la situation ne fasse qu’empirer. Leur relation n’était plus qu’un éternel conflit. Une engueulade en suivait une autre. Tout était prétexte. Tout et n’importe quoi. Simon était à bout. Cependant sans boulot, il était condamné à la fermer. Alors, il rongeait son frein en glandant de plus belle. c'est ainsqi qu'un soir où un il traînait sur sa fidèle mobylette, il tomba sur Marco qui fumait sa clope devant le café de la gare. 

-          Qu’est-ce tu fous ? Lui demanda son pote.

-          Pas grand-chose, répondit Simon.

-          Tu voudrais pas me conduire chez Momo. Il a touché d’la bombe. Après on ira chez Marisa. Elle fait une teuf pour son anniversaire.

-          Bof ! Pourquoi pas ? Et c’est quelle sorte bombe qu’il a, Manu ?

-          Hiroshima aura l’air d’un pétard mouillé à côté de ce truc.

-          Bon, Si c’est à ce point-là, j’suis d’accord.

-          Je savais que t’étais pas du genre à refuser un petit trip. 

    Marco avait raison. Simon n’était pas homme à refuser quoi que ce soit, surtout s’agissant de défonce, même s’il se tenait plutôt tranquille, ces derniers mois. Il se contentait d’herbe et d’alcool, en assez grande quantité il faut quand même le dire. Quoi qu’il en soit, être raisonnable, n’excluait pas un petit frisson de temps en temps. Ils grimpèrent à deux sur la vieille mob et filèrent à travers les rues de la banlieue. Le soleil se couchait doucement. C’était un doux soir de juin. Momo fut content de les voir. Ils discutèrent un moment, burent un thé à la menthe avant qu’il ne se décide à sortir sa marchandise. Enveloppée dans du papier alu, on aurait pu croire de fines pastilles translucides légèrement colorées de vert avec dessus, des motifs qu’on ne pouvait distinguer. 

-          Merde ! A dit Marco, des acides !

-          Ouais. Et du premier choix, les garçons, a confirmé Momo. 

     Simon, lui, avait toujours eu des réticences vis-à-vis des acides. Trop de bruits alarmants circulaient sur ce type de produit. Seulement, au diable la prudence ! Ce soir, c’était la fête, non ? C’est donc sans se faire prier qu’il avala la substance. Momo les avait prévenus : 

-          Les gars, faites gaffe. Ce truc est long à monter à vos cervelles. Mais putain, une fois là-haut je vous jure qu’il ne vous lâche plus !

-          C’est exactement ce qu’il nous faut, avait ajouté Simon.

      Prenant congé,  ils avaient à nouveau enfourché la mob et avaient foncé jusqu’à la fête de Marisa, au hangar de la MJC. C’était une sacrée fiesta qui se donnait ce soir. Dans la lumière, des D.J s’activaient, le volume à fond. Sur la piste, des corps déchaînés, ombres lascives communiaient sur les rythmes métronomiques. Les acides, eux tardaient à faire leurs effets. Intérieurement, Simon se disait que Momo les avait encore arnaqués. Las, nos deux compères avaient bien du mal à se mettre dans l’ambiance. Ils tentèrent une percée sur la piste. Toutefois le cœur n’y était pas. C’est donc, tout naturellement au bar, qu’une fois de plus ils échouèrent. Vodka sur vodka pendant deux heures. Deux heures creuses, sans d’autres effets que ceux de l’alcool et l’ennui conjugués. On leur avait même proposé de l’ecstasy, mais ils avaient refusé. Marco venait juste de s’absenter, définitivement absorbé par le malstrom de la piste de danse, quand soudain la soirée prit une nouvelle tournure. Simon commença par transpirer à grosses gouttes, puis il se mit à rire comme un dément. Sans motif. C’était une irrésistible envie de se marrer. Et là brutalement, dans sa tête, il sentit le souffle puissant telle une accélération démoniaque. La montée était violente, sauvage. Allez mes amis, en route pour la joie !

   C’était comme si la tornade de Monsieur Propre lui lessivait le cerveau. Les visions débutèrent de suite. Incohérentes, irréelles, hallucinées. Sa perception de la réalité devint différente. Surtout quand les verres se mirent à lui parler. Ils étaient là, posés sur le comptoir et ils lui parlaient. Ils en avaient des choses à dire, les verres. Des tonnes de questions aussi. Et Simon, bien sûr, il leur répondait. Ils riaient ensemble, sans retenue. C’était vraiment, vraiment, une soirée réussie. Et ces danseurs qui changeaient sans cesse de formes et de couleurs. C’était vraiment une sacrée trouvaille. Malheureusement, Simon se focalisa sur la musique, notamment sur le tempo. Bientôt, il n’entendit plus que les cognements sourds de la grosse caisse qui tapaient, cognaient comme une énorme presse sur des tôles en fusion. Une espèce d’angoisse l’étreignit soudain et il sentit qu’il lui fallait partir au plus vite. Les verres du bar furent très déçus. Mais Simon promit à tous ses nouveaux amis de revenir les voir très vite. De toute façon, il était temps de rentrer. Il commençait à y avoir beaucoup trop de rats blancs au plafond. allez hop ! Au diable, Marco et tous ces bras qui lui avaient poussé sur le torse durant la soirée.

    Tant bien que mal, il enfourna sa mobylette tel un Zorro déjanté et déferla dans les avenues détrempées. Des égouts, il pouvait voir surgir des ombres rougeâtres. Simon leur fit un signe de la main avant qu’elles ne s’évanouissent. Au feu rouge, il sentit que le bitume fondait sous lui en un magma épais qui se liquéfiait peu à peu pour ressembler à l’eau saumâtre des marais. D’ailleurs, il dut descendre de sa mob pour voir s’il avait encore pied. Enfin, au bout d’un temps qu’il ne put évaluer, il arriva à rentrer chez lui. Il ouvrit la porte.

Là, soudain, un souffle brûlant lui sauta au visage comme une hyène avide.

    Simon tomba à la renverse sur le perron. C’est à ce moment qu’il vit les flammes longues et rageuses qui déjà dévoraient le premier étage. Pas une seconde à perdre. Il s’engagea sans réfléchir dans le brasier. Vite, il saisit le téléphone sans fil et retourna sur le perron. Il sentait la brûlure incandescente du feu qui mordait sa chair. Sans attendre, il composa le 18. 

-          Magnez-vous ! Hurla-t-il aux pompiers. Magnez-vous, y a le feu dans la baraque !

    Puis il leur lâcha son adresse avant d’aller se réfugier au fond du jardin. C’est là que les services de secours le trouvèrent quand ils arrivèrent dans un déluge de lumières bleutées. Simon se rua sur les sauveteurs. 

-          C’est là ! C’est là, braillait-il de plus belle, faite vite les gars avant qu’il ne reste rien de cette foutue bicoque !!!! 

       Mais point de flammes les pompiers ne virent. Pas la moindre étincelle. La maison était calme et tranquille. Le vacarme des sirènes avait quand même réussit à tirer le père de Simon d’un sommeil aussi profond qu’il lui était dur à trouver. Il sortit du pavillon, la mine renfrognée, son imper gris tout juste enfilé par-dessus son vieux pyjama rayé. Vous imaginez facilement la surprise qui fut la sienne quand il découvrit son rejeton vociférant comme un dément au milieu d’une horde de pompiers casqués. Son père ne mit pas longtemps à faire le rapprochement et il se dit que son fils avait une fois encore, repiqué au truc. Son sang ne fit qu’un tour. Il lui colla une droite magistrale qui le sonna sans délai et le laissa inerte dans l’herbe tendre. 

-          Faites-en ce que vous voulez, dit-il mauvais aux soldats du feu, mais emmenez-moi ce déchet hors d’ici. Et que je ne le revois plus. Il nous a fait assez de mal comme ça, à sa mère et à moi. Ce coup-ci, c’est une fois de trop ! 

      Simon se retrouva bouclé dans l’ambulance cependant que dans sa tête, la maison familiale continuait de brûler.

    Il sortit trois jours plus tard et trouva ses fringues ainsi qu’un peu d’argent dans le garage. Dehors, il pleuvait dru et Simon se dit que cette fois, il allait devoir se colleter droit dans les yeux avec la vie. Cette fois, il n’y aurait personne pour l’aider à passer au travers. Il enfila son costard noir usagé et marcha doucement, sans se retourner. Il n’était pas pressé. Il avait tout son temps. Maintenant, la route risquait d’être longue. Simon savait qu’elle ne s’arrêterait que lorsqu’il aurait trouvé le soleil.   

 

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