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Laurent Ducastel Ecrivain

19 mars 2018

SORTIE DU RECUEIL DE NOUVELLES DU BLOG LAURENTDUCASTEL.CANALBLOG

Jacquette papier 2

Après plus de 136 000 pages lues, voici donc les nouvelles du Blog compilées. J'en profite pour remercier tous ceux qui ont relayé très fidèlement mes histoires au long de ces dernières années, leur permettant d'atteindre des chiffres stratosphériques de fréquentation. Si vous voulez retrouver mes histoires, suivez le lien...https://www.amazon.fr/FIL-DU-RASOIR-NOUVELLES-URBAINES/dp/1980573379/ref=sr_1_4?s=books&ie=UTF8&qid=1521451501&sr=1-4&keywords=le+fil+du+rasoir

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17 mars 2018

Statistiques

IMG_4097suite à la publication du recueil "le fil du rasoir", je publie les chiffres de fréquentation du blog via une photo du tableau de bord. 

 

13 mars 2018

LA LIBERTE

Soudain, il fut dehors. Des mois entiers et autant de nuits qu’il y pensait. Et brusquement, il était dans la rue. C’était presque allé trop vite. Après toutes ces années, il aurait aimé savourer pleinement ce moment. Mais il avait fallu aller vite. Marcher droit dans les couloirs bruyants où résonnent entière la misère humaine. Une dernière fois soumis aux railleries des matons avant le grand saut, le retour à la vie : La liberté. Un long moment, il resta collé contre le mur d’enceinte, n’ayant pas la volonté momentanée d’aller plus loin. S’il n’avait pas été aussi fort mentalement et physiquement, il se serait avoué que pour la première fois depuis longtemps, il avait peur. Une peur presque panique, mais nimbée de tellement d’envie et de frustration qu’il ne savait par où la prendre. Il était encore jeune, mais ne savait de l’existence que ce que l’on apprend derrière les barreaux. C’est là, qu’il s’était forgé, qu’il avait grandi et était devenu un homme qui avant même d’avoir un présent, expiait déjà son passé. À l’heure de l’insouciance, il n’avait connu que la honte, les juges, les cellules bondées, la violence pour unique compagne. Il avait dû se construire sans certitude pour le futur. D’ailleurs, quel sens pouvait encore avoir ce mot quand on prend perpétuité avant même d’avoir vingt ans ? Il était passé sans délai de l’enfance à l’enfer via l’héroïne et le manque. Par erreur, par défi peut-être, par bêtise sûrement, pour tromper la douleur qui surgit à l’adolescence et qu’on ne comprend pas plus qu’on ne la contrôle. On s’embarque sans passeport pour des histoires sans issues dans les ruelles sombres des cités où les victimes, à la longue, finissent par ne plus être celles que l’on croit. À force d’humiliation, de brimades, de raclées reçues sans broncher, il avait appris à vivre ainsi, sans intimité, sa fierté à bout de bras comme un étendard dérisoire. Il avait durci son âme et son corps seul contre tous, année après année avec un but simple et définitif : Survivre à tout prix. Et il avait fini par réussir. Ce matin, les portes s’étaient ouvertes pour lui et les bruits de la rue qu’il entendait depuis si longtemps de l’autre cote du mur avaient soudain pris une autre dimension : Ils  étaient devenus réels, concrets. 

 

        Plus d’une heure maintenant qu’il n’avait pas bougé. Une heure, ce n’est rien en prison. On a tout son temps, d’ailleurs c’est quasiment tout ce qu’il vous reste. Mais il fallait y aller. Trouver un peu de courage. Prendre sa première décision d’homme libre. Partir vers la droite ou vers la gauche ? Ce n’est pas si simple quand on n’a nulle part où aller, quand personne ne vous attend ! D’ailleurs, qui pourrait bien vous attendre après tout ce temps ? Vous êtes comme mort sauf qu’on ne vous porte pas de fleurs et qu’aux pleurs, on préfère l’oubli. Finalement serrant bien fort ses poings dans ses poches, il marcha sans but, d’abord doucement puis de plus en plus vite sans s’arrêter. Depuis combien de temps n’avait-il pas couru ? Il ne s’en souvenait plus. Ses jambes lui tiraient, mais il ne voulait pas se poser. Il voulait mettre un maximum d’espace entre lui et le monde carcéral. Au détour d’une rue, à bout de souffle. Il entra dans un bar et commanda une bière. La patronne, une blonde décolorée qui avait passé l’âge de faire des manières, lui tendit un sourire tandis qu’elle déposait son verre sur la table. Il l’a regarda s’éloigner lentement, ondulant sans grâce les kilos superflus qu’elle avait partout sur le corps.  Derrière elle, flottait un parfum un peu âcre de déodorant bon marché. Oui, mais pour lui, il n’y avait aucun doute : le paradis, s’il existait devait sentir quelque chose d’approchant. Des années, des siècles qu’il n’avait pas été aussi proche d’une femme, à part de l’infirmière de la prison et de l’assistante sociale bien sûr. Mais cela n’avait rien de commun. Là, il aurait pu la toucher, prendre dans sa main ses gros seins fatigués. Cette simple pensée le bouleversa. Faire l’amour avec une femme. Enfin ! Longtemps pour lui, la liberté n’avait rien signifié d’autre. Mais aujourd’hui, il n’était plus sûr de rien. Comment pouvait-il envisager la sexualité sans l’urgence et la violence carcérale ? Tout ce qu’il savait des femmes venait des films X de Canal et n’avait rien à voir avec la réalité. Il le pressentait. Et il eut peur à nouveau. Pour de bon. Décidément, rien ne semblait conforme à ce qu’il avait fantasmé dans les ténèbres de sa cellule. Dehors, tout allait trop vite. Tout était trop bruyant. Tout avait tellement changé aussi. Sa mémoire n’avait rien gardé auquel il put se raccrocher. Il passa une bonne partie de la journée derrière la vitre du café. Il commanda à manger, mais ne toucha presque à rien. Le fait de n’être plus au réfectoire, à manger sans la vigilance malsaine des gardiens, le perturbait à un point qu’il n’aurait pas imaginé. Il traîna tout l’après-midi ce sentiment diffus de malaise. Le soir, il alla dans une rue commerçante où la jeunesse abondait. Comment était-il arrivé là ? Par hasard, en marchant au gré des rues. Il finit par entrer dans un parc et s’allongea dans l’herbe. Il voyait autour de lui les jeunes qui vociféraient pendant que d’autres au loin, dans l’ombre, s’embrassaient. La vie leur brûlait les artères. Et quel spectacle c’était ! Par tous les diables ! C’était donc cela qu’il avait raté. Il était tellement ému que pour un peu il en aurait pleuré. Mais ce n’était pas son genre. D’ailleurs, quel pouvait bien être son genre ? Maintenant qu’à nouveau, il était dehors, il mesurait pleinement l’ampleur du désastre. Jamais, malgré les années et la distance qu’il avait cru prendre, l’horreur de son acte ne lui parut si dense et si présent. Jamais il ne serait comme eux, insouciant et ambitieux. Jamais il ne retrouverait ces joies simples qui construisent le bonheur. Ces voies-là s’étaient bouchées irrémédiablement le jour où un jury populaire l’avait déclaré coupable.

 

Dès cet instant, il ne s’était plus cherché d’excuse. A quoi bon ! Il fallait affronter la vérité en face. Et cela en avait pris du temps pour y arriver. Mais maintenant, c’était l’heure du nouveau départ, de la nouvelle chance. Il avait payé, effectué sa peine. Seulement voilà, il lui semblait qu’il ne faisait plus partie intégrante de la vie. À présent, il n’était qu’un spectateur fantôme hanté et distant que personne ne voyait.

 

         Il finit néanmoins par s’endormir sur un banc sans même s’en rendre compte. C’est une torche qui le tira de son sommeil. Faut pas rester là, criait la voix. Où voulez-vous que j’aille chef ? Répondit-il par réflexe . C’est pas notre problème fut la seule réponse qu’il obtint. Les policiers l’encerclaient maintenant comme s’il était toujours un danger potentiel. Ce ne serait pas allé plus loin, si un agent, pour faire de l’humour, ne l’avait tourné en ridicule. C’était un tout jeune homme, blond et tout propre. Le genre dont on raffole la nuit dans les cellules ou, plus brutalement, sous les douches pendant que les copains montent la garde. Son seul tort fut de le lui faire comprendre. Blessé dans son orgueil de mâle, le policier lui passa les menottes sur-le-champ et il se retrouva en route vers la cellule de dégrisement. Merci pour tout, leur cria-t-il cependant qu’il verrouillait l’épaisse porte de fer grise . Voilà enfin quelques heures de répit et de réflexion avant, à nouveau, le grand saut. À la lumière de cette première journée, il avait sacrément besoin de souffler un peu pour faire le point. Allongé, seul dans la pénombre il se dit que, décidément, après toutes ces années d’enfermement, la liberté n’allait pas de soi.   

5 mars 2018

CHEVROTINE

Avant, Rémy n’était pas différent des autres. Je veux dire, il était dans un système qui ronronnait et ce petit confort anesthésiant lui allait parfaitement. C’était un de ces gars dressés pour réussir, qui gravissent les échelons un à un, à la force du poignet. C’était l'exemple même du petit laborieux conscient de n’être pas spécialement brillant, mais qui contrebalançait en étant d’une pugnacité exemplaire. Rémy, c'était le genre qui ne s’économise pas, fait de l’entreprise sa religion et finit toujours par être dans les petits papiers du patron. Et le fait est que cela lui réussissait plutôt bien. D’année en année, il affermissait sa position et son caractère aussi. Car pour en arriver là, Rémy avait appris à sabrer, à couper des têtes sans que la main ne tremble. Ils en riaient alors à table avec ses supérieurs. On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, était la maxime qu’il se ressortait pour faire taire ce qui lui restait de conscience. Rémy ne se posait pas de question. Ce n’était pas son genre. Et puis d’ailleurs pourquoi s’en serait-il posé ? Il allait avoir trente-cinq ans et avait fait de sa passion sous-jacente du pouvoir, un job lucratif. Vraiment, il n’avait aucune raison de s’en faire. Tout roulait pour le mieux. Son avenir semblait tout tracé : Il avait une famille, une bagnole neuve, des crédits en veux-tu en voilà. Enfin bref, tout ce qui ce qui ressemble d’assez près à la réussite sociale en action. Et puis tout s’est arrêté. D’un coup, net.

    D’accord, il y avait eu des signes avant-coureurs, mais vous savez ce que c’est. Personne n’y croit. C’est toujours les autres qui prennent la porte. Jusqu’au jour où, convoqué au bureau, le couperet était tombé. Implacable, froid, inexorable. Ils avaient des arguments aiguisés comme des rasoirs, des arguments qui frappaient forts et ne faisaient pas de détail. Des arguments contre les quels, ni lui ni personne ne pouvait lutter. Rémy a pris le pognon qu’ils lui proposaient et même un peu plus. Il était confiant : S’il retrouvait vite du boulot, ce serait 100 % gagnant. Et il ne doutait pas d’en retrouver.

-          Y a que les feignants qu’en trouve pas, clamait-il lors des repas familiaux du dimanche. S’ils se bougeaient un peu plus, eh bien, ils en trouveraient du travail. Moi, je me donne six mois.

     Seulement, six mois sont passés, puis douze et Rémy n’a jamais retrouvé de boulot. Enfin pas vraiment. Des remplacements à droite, à gauche, mais rien de réellement sérieux. Les deux trois premières années, il s’est vraiment accroché grave. CV, lettres de motivation et tout le toutim. Une véritable organisation qu’il avait mise en place : Plus de cent candidatures mensuelles pour tout au plus deux, trois réponses, souvent des mois plus tard. Cependant, il restait sur la brèche : des heures au téléphone pour décrocher des pseudo-entretiens d’embauche à l’autre bout du monde. Pas de problème, il y allait. Et tout ça pourquoi ? Pour rien. Le vide. Le désert. Le néant absolu avant le plongeon vertigineux aux enfers. Fin de droit, Allocation Spécifique de Solidarité et bientôt, le début de l’errance. À partir de là, c’était le no man’s land. Un monde parallèle, la frontière de la société de consommation. Un monde dont les hommes politique de tous bords parlaient comme les religieux parlaient de Dieu et du paradis : en faisant de grands gestes sans avoir la moindre idée de ce que c’était.  Et pour une raison simple : Tant qu’on n’était pas plongé dedans, personne ne savait ce que c’était.À partir de là, vous n’étiez plus rien ou si peu. Vous ne viviez plus, vous surviviez. En faisant attention à tout, et même là, ça n’était pas suffisant. Les fins de mois devenaient permanents et pour l’état, votre situation au sein de la société se résumait aux aides qu’on vous filait et à la dette que vous traîniez comme un boulet. Un putain de boulet de plus en plus lourd.

      Rémy, lui, il refusait d’y croire. Alors, avec sa famille, ils se sont serrés la ceinture de plus belle. Mais son petit pécule avait fini par fondre comme la neige par grand soleil et, à présent, il était disposé à prendre absolument n’importe quoi. Seulement, même pour des jobs pourris, fallait avoir un certain profil. Il n’y a que ceux qui ne sont jamais passés par là pour croire que c’est facile de faire embaucher dans ce genre de boulot. Et encore, les trois quarts de ceux qui vous donnaient ce précieux conseil, n’aurait pas tenu une journée dans ce monde-là. Pour la main d’œuvre, les boites cherchaient plutôt des jeunes, résistants, si possible pas trop qualifiés pour pouvoir les exploiter sans qu’ils ouvrent trop leurs gueules. Voilà ce que voulaient les patrons, et les clients étaient nombreux à se bousculer au portillon. Rémy n’hésita pas à se brader, mais ce ne fut pas suffisant. Vous êtes trop vieux, trop ceci, trop cela. Il y avait toujours un truc qui ne collait pas. Ça puait les excuses bidon et Rémy le savait.

     Au fil des mois, il sentait qu’il se désocialisait, qu’il perdait pied dans la vie. Désormais, il connaissait les programmes télé par cœur. Des journées, des semaines entières, il restait en survêtement à cuver sa rage, à ressasser sa défaite. Il ne comprenait pas où il avait perdu la bataille. Mais le Rémy, ce n’était pas un type à baisser les bras facilement. Alors, il a persisté encore un moment. Seulement, les employeurs auxquels il se présentait ne comprenaient pas ce qu’il venait faire là avec son bac+5 et son expérience. Cependant, ces entretiens furent encore l’occasion de grands moments d’humiliation ordinaire, d’autant plus violents qu’ils étaient involontaires, la plupart du temps.

     Puis un jour, il eut quarante ans puis quarante et un et désormais, même les fast-foods ne le recevaient plus. Plus personne. Plus d’annonces, plus de candidatures, plus de réponses. Plus rien. Silence radio. Quand les gendarmes sont venus, un après-midi de printemps lui expliquer qu’ils allaient, lui et sa famille, être expulsés sans être relogés, Rémy s’est dit qu’il touchait le fond. Mais de là où il était maintenant, la surface lui semblait si lointaine qu’il n’aurait jamais assez d’air dans les poumons pour remonter. Faute de mieux, ils se sont installés dans le garage de ses beaux-parents. Il faisait froid, mais ils avaient un toit. Rémy ne dormait plus. Il serrait les poings. Il aurait voulu mourir, seulement ça n’aurait rien changé.

    Alors, il a pris toutes ses affaires et bon dieu, il en a fait un grand feu. Ses yeux brillaient d’une étrange étincelle. Un regard de fou, de dément. Sa femme n’a rien pu faire. Il a brûlé les photos, les fringues, les chaussures, les souvenir. Tout, absolument tout y est passé. Quand il n’est rien resté de lui, que les vêtements qu’il portait, le petit matin venait de se lever. Il faisait beau. La rosée avait empli le minuscule jardin. C’était un mercredi. Vers neuf heures trente, il est allé embrasser les enfants, a bu un café puis il a serré sa femme dans ses bras. « Voilà, ma chérie, on est au bout, c’est fini. » Ce sont les derniers mots qu’il a prononcés avant d’entrer dans cette banque avec un fusil à canon scié calibre douze chargé à la chevrotine.

12 février 2018

SAC EN PLASTIQUE

Sa vie entière tenait dans des sacs en plastique. Pas n’importe comment, non. Bien rangée comme s’il agissait d’une quelconque armoire. Ses vêtements étaient soigneusement pliés dans un sac plus gros à l’effigie d’un grand magasin parisien dont le slogan disait qu’on y trouvait de tout. Même de la détresse ?

Nous étions sur l’une des lignes les plus chics de Paris, à la hauteur de la station Charles de Gaulle-Étoile et elle dormait très profondément, entourée de ses sacs en plastique. Son corps ondulait, vacillait avec les trépidations du wagon. Elle n’était même pas ivre. Juste au bout du rouleau. Et il n’était pas long ce rouleau, car elle n’avait pas l’air bien vieille. Dehors, il faisait un froid de chien, gris et humide. Alors, elle venait souffler un peu dans le métro avec sa misère autour d’elle comme un rempart de plastique dérisoire, comme un linceul pour se prémunir de leurs regards.

        Eux, ils étaient trois. La vingtaine conquérante. Deux hommes et une femme coulés dans le même moule. Fiers, propres, cheveux impeccablement en place, lunettes en écaille, costards, fringues de marques, porte-documents en cuir. Ils parlaient avec aisance de droit économique en riant bien large de leurs exploits devant leurs profs. Ils la toisaient, tout orgueil dehors et leur jugement était sans appel : dur, implacables, gavé de dédain et de mépris. Ils se croyaient hors d’atteinte. Hors de portée des coups du sort. À leurs yeux, l’existence se réglait en monnaie sonnante et trébuchante. Leurs profs leur enseignaient sûrement comment trancher dans le vif, à eux les élites. Ils étaient appelés à diriger. On les formait pour cela. On les formatait. De la rigueur des lois comptables, on excluait l’humain. Mais dans leurs foutues écoles, on ne leur apprenait pas que la vie est une tordue de première, le genre qui frappe dans le dos et n’épargne personne. Valait mieux pas qu’ils le sachent. Ils n’étaient pas encore armés pour comprendre et ne le seraient pas davantage, le jour où on les foutrait à la porte. Et tôt ou tard, ça finirait par arriver. Ça arrive à tous, maintenant, même aux meilleurs.

        En descendant à la station Argentine, ils m’ont lancé un regard entendu, assorti d’une petite grimace du coin des lèvres qui se voulait ironique, mais qui réussissait tout juste à être pitoyable. Ça en disait surtout long sur le degré d’humanité qui habitait leurs âmes de petits coqs. Je me demande quelle tête ils auraient fait s’ils avaient su que je vivais des aides sociales et que j’avais moins d’un euro sur moi !

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6 février 2018

HÔTEL DE NUIT

       Elle s’était assoupie sur le côté. La lumière faiblarde de la chambre se reflétait mollement sur sa peau diaphane. Dans mon coin, immobile, je l’observais en silence. Je me délectais des courbes délicieuses de son corps, de ses petits seins roses, de ses cheveux blonds qui étaient comme des flammes qui lui couraient dans le dos.  Le lit, comme la chambre, semblait avoir été dévasté par le désir insatiable qui brûlait nos artères. Maintenant, elle lâchait du lest dans les bras de Morphée et était simplement bouleversante dans sa nudité la plus absolue. Rarement une femme s’était approchée aussi près de moi, de ce que j’étais vraiment, de ce à quoi mon âme cabossée aspirait. Mais j’étais certain qu’elle ne s’en rendait pas compte. Elle se contentait de rire à gorge déployée aux conneries que je sortais en rafales avant de se donner sans retenue dans une étreinte qui repousserait la mort en moi pour longtemps. Il était deux heures du matin quand elle quitta la chambre. Elle sourit de toutes ses forces une ultime fois en montant dans sa voiture avant que la vie ne nous sépare pour toujours. Je crois qu’elle ne se douta jamais à quel point j’étais amoureux d’elle.

29 janvier 2018

BAISER LE SYSTEME

-          S’il y a bien un truc dont je suis sûr, c’est que le boulot, c’est pour les caves. Moi, les mecs, ce que je veux, c’est baiser le système !

Terry avait lâché ça un soir de fête, alors qu’il n’avait pas seize ans et déjà un casier prometteur. Tandis que nous étions tous affalés, chargés à bloc à la mauvaise bière, au whisky volé et à la Marie-Jeanne de compète, il s’était levé et avait fait cette déclaration de foi sur un ton un brin péremptoire. Les autres avaient pris ça pour de la frime habituelle et les vannes avaient fusées. Mais, moi qui avait été élevé avec lui, je voyais dans son regard, un éclat qui disait qu’il ne plaisantait pas le moins du monde. Et la suite allait prouver que j’avais raison.

Alors que notre petite bande n’allait pas tarder à partir en vrille dans les grandes largeurs, certains pour la morgue, d’autres pour des séjours en centrale à répétition, lui réussit à passer miraculeusement entre les gouttes. La rumeur mit cela sur le compte d’un instinct hors du commun, voire sur une baraka toute aussi extraordinaire. Voilà qui lui valut un moment dans le quartier, un début de légende que lui enviait bien des lascars. Car, les faits étaient là, bien tangibles. Terry s’en tirait tout le temps, quand bien même, il fut pris dans un mauvais braquo, dans une petite station-service de Picardie.

Ce devait être un coup tranquille, vite fait. On entre, on braque, on sort, et à nous les vacances était le plan initial. Il n’avait rien d’exceptionnel. On appelait même ce genre de plan, un "Cinq Minutes de Frayeur". Terry en avait déjà un certain nombre à son actif. Seulement, ce jour-là, rien ne se passa comme prévu. Et son insouciance s’écrasa de plein fouet contre une voiture de gendarmerie qui venait en sens inverse, alors que lui et son comparse prenaient la fuite, leur forfait commis.

Comment la voiture de patrouille de la gendarmerie s’était-elle retrouvée là si vite ? Le caissier avait-il une alarme sourde ? Toutes ces questions allaient rester en suspens pour l’éternité.

Le complice du jour de Terry s’appelait Bruno. Les deux ne se connaissaient que depuis deux semaines à peine. C’était seulement la troisième fois qu’ils partaient en virée ensemble. Bruno était un paysan barré et fier à bras qui picolait son ennui, un fou de moto-cross qui commettait là son premier délit. Rien n’avait été prémédité. Terry avait lancé l’idée en passant devant et l’autre, passablement ivre et voulant montrer à son pote de la Courneuve qu’il en avait dans le froc avait dit : Banco ! Moins de vingt-cinq  minutes plus tard, il était déclaré mort. Lors du choc, il fut projeté au travers du pare-brise, eut la colonne fracturée et ne survécut pas au transfert.

Les gendarmes étaient issus d’une petite brigade de campagne qui, à l’époque encore, en ce milieu des années 80, n’était pas familière avec ce genre de violence. Elle géra l’évènement comme elle put : approximativement. Ce qui explique selon toute probabilité la légèreté avec laquelle Terry fut traité. Dans l’accident, il était mal tombé et s’était fracturé le bras gauche. Transporté aux urgences, on l’enferma dans une pièce aveugle où débordé, on l’oublia.  Dans la panique, il n’avait pas été interrogé, et personne n’avait même songé à lui demander son nom. Quand, au bout de deux longues heures, un interne asiatique se pointa pour le plâtrer, Terry cru qu’il était perdu. Avec ses antécédents, cette fois, il allait plonger.

Mais, sa bonne étoile n’allait pas l’abandonner au milieu du gué comme tant d’autres. Le hasard voulut que l’interne ait une âme de redresseur de tort. Le genre qui n’hésiterait pas à faire payer cash à sa façon ces petits salopards de banlieue. Lors de l’examen et de la radio, le jeune médecin chercha donc délibérément à lui faire mal. Terry, pour qui prendre des coups était comme une seconde nature, serra les dents et encaissa. La douleur se répandait comme un poison dans son corps entier. Pas assez profond cependant pour lui faire perdre la tête. Dans l’action, l’interne, qui ne semblait pas très au fait des énergumènes de l’acabit de Terry, négligea quelque peu ses arrières. Mal lui en prit. Il mettait la dernière main au plâtre quand Terry, voyant son attention se relâcher, lui asséna par surprise une droite pleine de rage qui sécha net le médecin. Celui-ci tenta bien de se relever mais, d’un coup de pied leste, Terry termina le travail. Des années à jouer au foot dans les terrains vagues lui avait donné, disons, une certaine dextérité en la matière.

L’interne désormais aux abonnés absents, il n’eut qu’à prendre les clés qui trainaient sur la table, ouvrir puis refermer à double tour la porte et filer directement à la gare de Soisson. Un peu plus d’une heure plus tard, il roulait vers Paris. Sitôt rentré à la Courneuve,  il plia ses affaires et avec le maigre pécule du braquage, qu’il avait pris soin de conserver, se paya un billet pour le Maroc où il resta huit mois. Le temps de l’oubli. 

L’épopée marocaine fut là encore épique.  Parti par les airs, il rentra par le bateau, les valises pleines de produits psychotropes de haute qualité. Voilà qui dans un premier temps, lui permit de se remettre à flot, puis dans un second, de monter un petit bizness très lucratif, tout en restant sous la ligne de flottaison. Car, contrairement aux autres zonards grands crus, Terry veillait dorénavant à ne pas se faire remarquer. Et il respectait cette ligne de conduite jusqu’aux limites de la parano.

Mais, paradoxalement, cette discrétion nouvelle, en étonna plus d’un. A commencer par les flics. Eux-aussi aussi furent surpris par cette nouvelle attitude après une si longue absence de la part d’un jeune qu’ils serraient régulièrement depuis l’adolescence. Aussi, sous prétexte d’un banal contrôle, ils le cuisinèrent à toutes les sauces. Les questions « impromptues » cinglaient en rafale. Gardant son sang-froid, Terry leur servit une soupe du genre je suis rangé maintenant, je cherche du boulot, mais… je n’en trouve pas. Les flics ne furent pas dupes. Toutefois, ils finirent par lui lâcher la bride. Quand le break Renault s’éloigna, sirènes hurlantes,  Terry respira un grand coup. Pas une question sur Soisson. Rien, pas même une allusion. L’affaire semblait passée à l’as. Cependant, ce contrôle lui laissa un arrière-goût pour le moins amer. Le soir, seul dans sa piaule, Terry se mit à cogiter. Certes, l’orage s’éloignait, mais il devenait évident qu’avec son passé, il ne serait jamais bien loin.  Et l’idée d’en finir, d’une façon ou d’une autre avec la Courneuve commença  peu à peu à germer.

Elle trouva sa concrétisation quelques mois plus tard, presque par hasard.

 Je ne sais plus très bien comment il s’était retrouvé à fourguer dans les beaux quartiers, dans les soirées huppées. Toujours est-il que c’est dans l’une d’entre-elle qu’il rencontra une jeune héritière un peu paumée. Sa baraka étant encore à l’œuvre, la demoiselle tomba raide dingue de lui et comme dans un roman à l’eau de rose de Barbara Cartland, elle l’épousa. Du jour au lendemain et sans un regret, ni un regard en arrière, Terry trancha dans le vif. Il déserta la Seine St Denis pour le Lot et Garonne. Il planta la rue, les potes, le bizness et tout le reste pour démarrer une nouvelle vie. Une plus douce, plus bourgeoise aussi.

Puis, les années passèrent comme des comètes dans la voie lactée.

 Infirmière, sa femme ouvrit un cabinet, lui fit deux enfants dont il s’occupa avec un vrai dévouement qui en aurait surpris plus d’un. L’ex-racaille était devenue un père de famille. Certes pas tout à fait modèle quand même. Car jamais, il ne travailla.  Il donnait bien la main ici ou là, quand sa belle-famille avait besoin de lui. Mais d’emploi, il ne fut jamais question. Pas réellement en tout cas.

Son beau-père lui proposa à maintes reprises d’entrer dans sa florissante société et d’autres que lui se seraient jetés sur cette proposition, disons-le, assez inespérée vu son passé. Mais pas Terry. Lui se bornait à cultiver son jardin et son herbe, s’occuper de ses enfants et point barre. Sa colère de jeunesse, issue de la rue se mua en anarchisme de salon de province, donneur de leçon voire moralisateur à la petite semaine. Dans la bibliothèque familiale, il avait trouvé de quoi combler les lacunes qu’il avait accumulées depuis qu’il avait fait un passage express au collège. Il s’initia à la philosophie, s’épris de Voltaire et de Jules Vallès et passa de NTM à Léo Ferré avec la même conviction.  

Mais de sa vie, il ne fit rien d’autre.

Certains soirs, quand le soleil se couchait sur son corps de ferme, et caressait au loin les grands arbres, tranquille sur sa terrasse, fumant un petit joint, il se disait que oui, il l’avait bel et bien baisé le système.

Enfin, jusqu’à ce qu’il atteigne ses quarante-cinq ans.

Maintenant, ses enfants étaient devenus des ados, ils n’avaient plus besoin de lui comme avant. Terry avait beau prendre ses grands airs détachés, il sentait confusément que la terre se dérobait sous ses pieds, par petites touches sournoises.  Pourtant, il s’entêta comme si de rien n’était. Empêtré jusqu’au cou dans sa nonchalance, il ne vit pas le décalage, ni les contradictions entre son discours et sa condition d’homme finalement entretenu. Il ignora tous les signaux avec cette même inconscience qu’il lui avait tant réussie. Terry ne vit pas que le regard de ses fils sur lui avait changé. Il se croyait intouchable, hors d’atteinte, toujours un peu bravache, l’homme qui avait baisé le système. Mais la réalité était tout autre. Dans le cœur de ses fils, l’image du père se consumait.

Totalement désœuvré, désocialisé, Terry avait peu à peu, sans s’en rendre compte, rompu les amarres avec le monde extérieur. Même sa femme peinait à l’atteindre encore. C’était un lent naufrage.

Et puis, un samedi soir, la digue s’était rompu.

Son fils ainé traversait une période plus difficile au lycée, comme tous les ados de son âge en connaissent. Ce soir-là, au lieu de le rassurer, au lieu de l’écouter, il lui sortit sa meilleure logorrhée alcoolico-moralisatrice. Satisfait de lui-même, il ne sentit pas venir la déferlante :

-          Mais qui t’es toi pour me faire la morale ? lui balança son fils sur un ton sec et tranchant.

-          Ton père, voilà ce que je suis.

-          Bah, tu vois, je crois que ça va plus suffire désormais.

-          Comment ça, ça ne va plus suffire ?

-          Lâche-moi et va cuver ta bière et tes pétards, comme d’hab’

-          Je t’interdis de dire ça, t’as compris ?

-          Tu ne m’interdis rien du tout.  Non, mais regarde-toi ! T’es vautré sur ce putain de canapé, défoncé du matin au soir ! Tu trouves que ça le fait ? Franchement ? Tous les pères de mes potes, ils font des trucs, ils ont des boulots, des passions, une vie quoi ! Et toi, Papa, qu’est-ce t’as fait de ta vie ?

-          T’occupes pas, moi, j’en ai rien à foutre de la réussite sociale, tu piges ?

-          C’est facile de dire ça quand on vit au crochet des autres !

-          Si j’avais voulu, j’aurai pu devenir…

-          Rien du tout, oui ! le coupa net son fils. T’es là à nous chier ta morale, à ressasser ton aigreur, mais t’as jamais rien voulu foutre !

-          Nous, les mecs de banlieue, personne ne nous laisse de la place.

-          Arrête tes conneries Papa. Ici, tu l’as eu ta chance et qu’est-ce que t’as construit ? Qu’est-ce que tu vas laisser derrière toi ?

-          Toi et ton frère, voilà ce que je vais laisser derrière.

-          Non, je ne te parle pas de ça, c’est trop facile, non ? Tu sais aussi bien que moi que c’est à la portée de n’importe quel abruti d’avoir des enfants. Non, Papa, je parle de ta vie d’homme. Qu’est-ce que tu en as fait, à part bousiller la vie de Maman ?

-          …

-          La réponse est claire pourtant : Rien. Nada. Alors, je vais te dire, à partir d’aujourd’hui, tes conseils et ta morale à la con, comme t’aimes si bien le dire, éh bien tu peux te les mettre où je pense.

  Terry se tourna vers sa femme, en un mouvement lent, comme si le film tournait à présent au ralentit. Il chercha dans son regard un soutien, un appui. Mais, dans ses yeux, il ne trouva que des larmes et une tristesse insondable. Une tristesse qui disait la souffrance silencieuse et l’abnégation d’un amour en charpie. Et il sut que plus rien ne serait désormais comme avant.

Oui, pendant toutes ces années, Terry avait cru baiser le système en beauté. Mais, le système avait joué la montre et, sur la distance, il avait fini par prendre sa revanche.

22 janvier 2018

ADULTERE

-         Est-ce que tu te rends compte que mon père s’est barré avec une fille qui a vingt ans de moins que lui !

 Elle avait dit ça sur un ton qui oscillait entre la colère pure et l’indignation. Elle en avait même perdu son magnifique sourire, au profit d’un air furibond qui l’a rendait plus désirable encore.

-        Je ne vois pas où est le problème, lui répondis-je tout à fait sincèrement.

-        Mais Morgan, elle a à peine six ans de plus que moi !

-        Et alors, mon propre père vit avec une fille qui est plus jeune que moi, ça ne les empêche pas d’être parfaitement heureux.

-       Mais mes parents aussi étaient heureux avant que mon père se barre avec cette…Cette fille.

-     Sûrement pas autant que tu le croyais. Sinon, il ne serait pas aller voir ailleurs.

-       Putain, mais qu’est-ce que t’en sais du bonheur ? Je ne suis même pas certaine que  tu saches réellement de quoi tu parles. Tu es un artiste, Morgan, et les artistes ne sont pas spécialement doués pour le bonheur. Et s’il te plait, ne nie pas parce qu’il suffit de lire tes livres pour s’en rendre compte.

-         D’accord, je ne suis peut-être pas le mieux placé pour te parler du bonheur en couple. Tu ne m’empêcheras pas de penser que ton père n’a pas tous les torts dans cette histoire.

-         Comment ça pas tous les torts ? Mais… Mais il a plaqué ma mère. Est-ce que tu te rends compte ? Il l’a planté là pour aller batifoler avec une jeunette. Il a sacrifié trente années de vie commune sur un coup de tête.

-         Qui te dit que c’est un coup de tête ? Qui te dit que ça ne fait pas des années qu’il rumine son ennui ?

-         Ne raconte pas de connerie ! Mes parents ont une vie passionnante.

-         Ta mère a une vie passionnante. Nuance. Ton père se contente de suivre le mouvement.

-         Morgan, ne lui cherche pas d’excuses parce que là, je vais te dire : Tu perds ton temps. Je vis une déception qui est bien au-delà de ce que tu peux imaginer. Mon père… Mon père est en train de se conduire comme le pire des machos à la con. Il a trahi toute la confiance que j’avais en lui.

-         Non, il a éclaté l’image que tu te faisais de lui, c’est différent. Je crois que tu es en train de comprendre que ton père est un mec comme les autres.

-       De quoi, un homme comme les autres ? De quoi tu parles ? C’est de trahison qu’il s’agit ! Ça fait des mois qu’il s’envoie sa poule en douce. Des mois qu’il nous ment, qu’il nous berne ! Tout ça pour une… Une, je ne sais même pas quoi... Franchement, je me demande ce qu’elle a de plus que ma mère.

-         C’est simple. Vingt ans de moins !

-        C’est tout petit comme argument ! Seulement l’autre jour au téléphone, il m’a avoué que ma mère restait la femme de sa vie !

-         Faut croire que ça ne lui suffisait plus.

-         Qu’est-ce que tu me chantes là ?

-         J’essaie de t’expliquer que pour ton père, le compte n’y est plus. Ouvre tes yeux ! Ton père a cinquante-cinq berges et visiblement il lui reste du feu dans les artères. Il n’a peut-être pas envie de renoncer à vivre certaines choses.

-         Et tu crois qu’il est plus vivant parce qu’il se tape cette fille.

-         Sans aucun doute.

-        Ce que tu peux être basique, parfois ! Et ma mère qui pleure du soir au matin toutes les larmes de son corps. Elle, elle est plus vivante peut-être !

-     Ta mère s’en remettra. Je sais que c’est dur à encaisser surtout pour quelqu’un d’aussi entier qu’elle. Tu peux me croire : Même si son orgueil en a pris un bon coup, ta mère refera surface. 

-         Là-dessus, tu as probablement raison.

-         Et ton père, comment va-t-il ?

-         Lui, très bien, il est sur un nuage. Je suis allé chez lui dimanche. Oui, parce que maintenant, Monsieur a un chez lui.

-         Un chez lui avec sa copine.

-         Evidemment ! Pas avec la concierge !

-         Alors, tu l’as vue.

-         Bien sûr que je l’ai vu ! Il voulait à tous crins me la présenter.

-         Comment est-elle ?

-      Elle est… Elle est… Oh ! Merde ! Elle est vraiment sympa et même objectivement, elle est plutôt jolie. D’ailleurs, je t’avoue que ça m’a énervé. Ça m’a foutu les boules, j’en aurais chialé. J’aurais préféré une conne. Une bimbo à deux balles.

-         T’aurais eu moins de mal à la détester.

-         Bah, oui, probablement.

-         Je suis content que tu en conviennes. C’est la vie qui a séparé tes parents. Rien d’autre. Et toi, tu n’y peux rien. Ta mère ne voit que par son boulot. Elle est toujours par monts et par vaux. Ça fait des années et des années qu’elle enchaîne meetings, campagnes, réunions j’en passe et des meilleurs. Elle a oublié ton père en route, voilà la vérité.

-         Ma mère est maire de cette ville, je te rappelle.

-         N’en fais pas une espèce de sainte, s’il te plait !

-         Je n’en fais pas une sainte. C’est juste que… J’ai beaucoup d’admiration pour elle. Son engagement, c’est toute sa vie.

-         Justement. Tu viens de le dire toi-même. SA vie, pas celle de ton père.

-         Ça n’excuse pas ce qu’il a fait !

-         Il ne s’agit pas de l’excuser, mais de comprendre. Tu es la première à fustiger en permanence la morale bourgeoise, mais tu dénies à ton père le droit d’avoir sa propre vie en dehors de la cellule familiale.

-         Morgan. Tu me fais chier.

-         Je sais, dis-je en l’attirant contre moi. Embrasse-moi quand même.

-         N’y compte pas !

-         Tu es vraiment furieuse ?

-     Mais non, voyons ! Ce serait te faire trop d’honneur, monsieur le scribouillard. Jette plutôt un œil sur la pendule. Je crois qu’il est plus que temps de nous rhabiller, mon mari ne va pas tarder à rentrer. 

15 janvier 2018

FIN DE PARTIE

C’est elle qui a insisté. Moi, je ne voulais pas y aller. J’avais eu une semaine infernale et n’avais pas la moindre envie de bouger. Sans compter qu’une bonne âme venait de m’offrir, pour mon anniversaire, l’intégrale des Doors. Et franchement quand on a toutes ses merveilleuses chansons fraîchement remastérisées à la maison, a-t-on encore envie de sortir ? Je ne désirais rien d’autre que m’immerger une fois encore complètement dans cette musique. Oui, je voulais fermer les portes, les volets, couper le téléphone et oublier le reste du monde pendant que Jim et ses potes ne joueraient que pour moi leurs sublissimes compositions.

Mais cela, Angéla ne pouvait pas le comprendre. Angéla avait seize ans de moins que moi et j’avais beau tout essayer, jamais elle ne serait sensible au charisme et à la voix de Jim Morrison. Pour elle, c’était juste un vieux truc qui la gonflait. Même mon père trouverait ça démodé, disait-elle en plaisantant à moitié tandis qu’elle s’habillait dans la salle de bain transformée par ses soins en piscine-sauna. Nous vivions à la colle depuis six mois. Enfin quand je dis que nous vivions à la colle, je veux dire qu’elle passait le plus clair de son temps chez moi. Son père était un entrepreneur de la région qui avait réussi et voyait d’un très mauvais œil sa fille chérie traîner avec un garçon trop vieux pour elle. Un garçon qui, de surcroît,  n’avait pas vraiment de situation, du moins, pas au sens où il entendait. A cette époque, je bossais en intermittence dans le cinéma. Rien de bien glorieux en vérité. J’étais assistant régisseur. Autant dire que mon job consistait à faire tout et n’importe quoi sur le tournage. Néanmoins, cela s’avérait assez mouvementé et finalement ne me convenait pas si mal. Mais j’avançais en age et ce boulot me laminait physiquement tandis qu’à présent, j’avais de plus en plus de mal à récupérer. Aussi, fis-je mon possible pour esquiver, ce soir-là. Seulement, Angéla n’était pas du genre à s’avouer vaincue facilement. Abusant de son charme, et ça bon dieu elle savait s’y prendre, elle avait fini par m’embarquer dans cette galère.

-         Tu verras, on va se marrer, avait-elle dit d’un ton joyeux avant d’ajouter à la dérobée : en plus mon frère sera là. Et j’ai très envie de voir mon frère.

 

Dans l’ordre chronologique des mauvaises nouvelles de cette soirée, celle-ci venait en haut de la liste. Tête de con, était bien la première chose qui me venait à l’esprit quand je pensais à ce sinistre personnage. Il s’appelait Jeremy et n’avait eu aucun effort à fournir pour m’être, de suite, antipathique. C’était le genre de type qui avait tout pour réussir dans la vie et n’avait pour ces semblables que dédain et mépris. Il crachait à la face du monde en brandissant bien haut le fric que son père avait mis toute une vie à gagner. Rien n’était assez beau, rien n’était assez luxueux pour ce jeune homme. Il était le fils tardif d’un homme que la maladie rongeait jour après jour. Alors, qu’il soit une petite crevure n’avait pas d’importance à ses yeux. Du moment qu’il était heureux, tout lui était pardonné. Et il y avait beaucoup à faire ! A vingt ans, Jeremy avait foiré, de main de maître, sa scolarité et avait aussi eu quelque peu maille à partir avec la justice à plusieurs reprises, pour des histoires diverses et variées, mais surtout après un accident de la route où, passablement éméché au volant de son coupé BMW flambant neuf, il avait doublé en plein virage sans visibilité aucune. Monsieur aimait jouer à la roulette russe sur la route pour épater la galerie. Quatre tonneaux plus tard, le magnifique petit coupé n’était plus qu’un amas de tôle dont on avait sorti le corps sans vie d’une gamine de dix-sept ans. Lui avait été éjecté lors de la collision et n’avait eu qu’une fracture bénigne. Comme quoi, la chance ne sourit pas qu’aux audacieux. Avait-il montré une forme de remord ou même de compassion à l’égard des parents de la malheureuse ? Pas le moins du monde. Non, pour se remettre, alors qu’il n’avait momentanément plus de permis de conduire, il s’était derechef fait offrir un bolide japonais sur deux roues qu’il surnommait, avec beaucoup d’à propos, le suppositoire supersonique. Il traînait en ville, faisant hurler le moteur au nez et à la barbe des gendarmes qui enrageaient, mais savaient qu’il ne serait pas bon pour leur carrière de contrôler ce monsieur. Donc, voilà le personnage avec qui nous avions rendez-vous, celui pour qui, in fine, j’avais abandonné une soirée paisible en compagnie de mes Doors adorés ! Nous étions dans les derniers jours de novembre et l’hiver nous était tombé dessus par surprise. Une pluie fine et glaciale dégringolait depuis le matin. Le thermomètre plafonnait à cinq degrés quand nous sommes arrivés dans ce bar sur les bords du lac. Angéla était tout sourire quand elle aperçut son frère attablé avec sa petite cour, trois garçons et deux filles qui ne le quittaient pratiquement jamais et disaient amen à toutes ses fantaisies.

-         Eh bien Angéla, ma sœur, t’es venu avec ton feignant ! Dit-il d’emblée pour nous souhaiter la bienvenue.

-         Arrête un peu, veux-tu, Jeremy !  Morgan n’est pas un feignant, c’est un écrivain et en plus, il est intermittent du spectacle.

-         Angéla, ne le prends pas comme ça, Sister. Si tu préfères intermittent à feignant, moi ça me va !!!

 

Ils étaient déjà tous à rire de moi alors que je n’étais pas encore assis. Les regards complices, lourds de sens fusaient. Oui, ils avaient dû préparer leur coup. Mais je m’en foutais.

-         Laisse-les dire, a murmuré Angéla à mon oreille, c’est des jaloux.

 

C’est surtout des gros cons ai-je eu envie d’ajouter. Seulement, j’ai gardé mes réflexions pour moi. Je m’étais promis de ne pas m’énerver. C’était un peu comme chez le dentiste. Juste un mauvais moment à passer. Ensuite, Angéla et moi rentrerions à la maison et il ne lui faudrait pas longtemps pour se faire pardonner. Ma principale erreur au cours de cette regrettable soirée fut d’avoir pensé que boire ferait passer le temps plus vite. C’était une technique que j’avais mise au point lors de mon premier mariage. Aux repas de famille, je m’enivrais dare-dare dès l’apéro et ainsi, totalement déconnecté, je pouvais rester des heures à table à endurer les pires conversations et la philosophie prolétarienne de fin de repas sans broncher. Et je vous jure que ce n’était pas là un mince exploit. Sauf que l’alcool avait aussi, il faut bien l’admettre, tendance à me courir sur les nerfs, en plus de me désinhiber plus que nécessaire. Ainsi, aux confins de l’ivresse et de l’inconscience pure et simple, je pouvais primo, m’envoyer n’importe qui ( et c’était déjà arrivé ! ) Secundo, me foutre sur la gueule pour n’importe quels motifs puérils.

Cette soirée a bien duré mille ans. Dès qu’un creux se présentait dans la conversation, pouf ! Jeremy trouvait une petite vanne pour mon compte. C’était sympa comme ambiance. Oh ! Et puis c’est pas méchant, il est moqueur, me soufflait Angéla qui n’avait, jusqu’alors, jamais expérimenté mes colères subites. J’encaissais, j’encaissais, toujours plus. Je n’en revenais pas. Franchement, je sentais la tension monter en moi mais je restais calme. Il a dépassé les bornes encore et encore. Et plus il rajoutait, plus j’étais magnifique de détachement, de contrôle. D’un sens, ceux qui me connaissent ne m’auraient sûrement pas reconnu. Car oui, j’étais fier de rester ainsi aussi zen, tant c’est un comportement, je l’avoue, qui est assez loin de moi, ordinairement. Je mettais cela sur le compte de l’age. Mais voilà, on n’échappe pas à son tempérament. Un moment d’inattention et hop ! Le verrou saute et alors les vannes s’ouvrent en grand.  Encouragé par ma passivité, Jeremy était allé jusqu’à traiter ma mère de putain. Mais pour aussitôt, s’empresser de s’excuser, cependant que sa petite cour pouffait. J’ai ris, moi-aussi avant de prendre son verre de bière et de le balancer sur sa chemise Versace en ajoutant :

-         Je vois que Monsieur est un habitué. Rien que d’en parler, il a lâché la purée sur sa chemise. Va falloir apprendre à te contrôler, mon garçon. Sinon, je crains que tu n’aies des soucis avec les filles. Mais là, je ne t’apprends rien, n’est-ce pas, tocard ! 

 

Brutalement, nous venions de changer de registre. C’en était fini de rire. Il s’est levé furieux, les yeux exorbités de rage. Là, comme à un gamin, il m’a collé une baffe tonitruante. Sa main a claqué comme un fouet infernal sur ma joue. J’en suis resté abasourdis et il a dû le voir quand je me suis levé, très doucement. J’étais presque sonné. Humilié, fatigué, vaincu. Je ne comprenais plus nettement ce qui m’arrivait. Il y avait juste ce désir en moi, ce désir brûlant, incandescent d’en finir, de tout casser.

A cet instant, mon âme réclamait le chaos.

C’est là qu’il s’est mis en garde et a déclaré sur un ton qui suintait la peur :

-         Fais gaffe, feignasse, je fais du karaté. Si tu bouges, je te détruis.

 

Ce sont les derniers qu’il a prononcé avec toutes ses dents dans sa bouche. J’avais été élevé à la dure. Champion en herbe dans mon adolescence, j’avais souvent serré les poings pour faire taire ceux qui prenaient ma petite taille et mes cheveux blonds frisés pour un signe de faiblesse. Dressé par mon paternel à l’usage intensif du coup de boule, j’avais acquis un répondant qui allait me coûter trois renvois en trois ans.   C’était le genre de conditionnement qui laissait des traces profondes et ne s’oubliait pas du jour au lendemain. Je crois que c’est son " je fais du karaté " qui avait mis le feu aux poudres et ranimé cette mécanique en moi. Je l’ai attrapé par le col et lui ai balancé un coup de boule de derrière les fagots. Un coup de boule qui carburait à la fatigue, à l’alcool et surtout à la colère rentrée. Toute la frustration de la soirée était contenue dans ce coup de tête.  Le problème, c’est qu’il avait ouvert la bouche au mauvais moment. L’impact avait été foudroyant pour lui comme pour moi. Ses putains de dents de devant étaient allées se nicher en droite ligne dans mon front. Seulement, je n’avais pas tapé assez fort pour les lui casser net. Et le voilà, le fier à bras avec ses dents plantées à la base de mon cuir chevelu. C’est rien de dire qu’il hurlait à la mort. Et il n’avait encore rien vu. La douleur, déjà insupportable, avait viré carrément à l’insoutenable au moment où, au terme d’une légère rotation sèche de la tête,  je les lui avais déchaussé à vif pour me dégager. Le sang giclait comme d’une fontaine de ses dents qui, à présent, s’étaient décalées vers le bas et dont la racine commençait à poindre. Jeremy a tourné de l’œil tandis qu’Angéla après m’avoir copieusement maudit, lâchait son dîner au grand complet sur la banquette en skaï mauve. Pour ma part, j’attrapais une serviette et me la collais sur le front. Le sang qui s’échappait de mon front avait déjà taché toutes mes fringues. J’étais en pleine dérive et cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Je me sentais perdu tandis que la petite cour de Jeremy  m’insultait de plus belle en prenant soin, cette fois, de garder ses distances. Merde ! j’avais plus l’age pour ce genre de connerie. Comment pouvais-je encore tomber aussi bas ? Je connaissais pourtant ces plans par cœur. Heureusement, Anna, la serveuse, une délicieuse brune aux hanches un peu forte est venue à ma rescousse :

-         T’es vachement patient comme mec, a-t-elle dit en épongeant avec un torchon imbibé d’eau froide mon front transformé en hématome géant. Moi, à ta place, y a longtemps que je l’aurai démonté ce petit con.

-         Oui, t’inquiètes pas, a renchéri le patron, Y aura pas de suite. Ce mec c’est un connard et je ne porterai pas plainte. J’en ai marre de lui et de sa troupe de lèche-bottes. Il peut brailler tant qu’il veut. Ici, c’est chez moi et son père peut bien aller se faire foutre ! S’il est pas content, c’est le même tarif !

 

Je me suis retrouvé aux urgences de l’hôpital de Manosque au milieu de la nuit, avec cette fille que je connaissais à peine mais qui avait tenu à m’accompagner parce que, disait-elle, je n’étais pas en état de conduire. Pendant le trajet, Angéla m’avait envoyé un SMS qui disait simplement : Fin de partie. J’avais répondu par un très sobre : Passe prendre tes fringues quand tu veux. Maintenant, nous étions seuls dans le couloir surchauffé des urgences.  Retour au calme, tout juste ponctué par le balai incessant des ambulances. Anna ployait un peu sous le poids de la fatigue et sortait à intervalle régulier fumer une Pall Mall pour tenir le choc.

-         Au fait, ai-je demandé alors qu’elle se levait, tu aimes les Doors ?

11 janvier 2018

CHIFFRES DU BLOG 2017

Amis lecteurs de ce blog, voici les chiffres de fréquentation 2017. 25942 pages ont été lues. La plus grosse journée a été le lundi 27 mars avec 352 pages, ce qui constitue le nouveau record de fréquentation. Depuis l’ouverture du comptage en 2007, le blog a enregistré 135 716 pages vues dont 75 927 sur les deux dernières années.

 Merci à toutes et tous de venir lire et souvent relayer mes histoires.

Bonne année 2018. 

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