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Laurent Ducastel Ecrivain
15 janvier 2018

FIN DE PARTIE

C’est elle qui a insisté. Moi, je ne voulais pas y aller. J’avais eu une semaine infernale et n’avais pas la moindre envie de bouger. Sans compter qu’une bonne âme venait de m’offrir, pour mon anniversaire, l’intégrale des Doors. Et franchement quand on a toutes ses merveilleuses chansons fraîchement remastérisées à la maison, a-t-on encore envie de sortir ? Je ne désirais rien d’autre que m’immerger une fois encore complètement dans cette musique. Oui, je voulais fermer les portes, les volets, couper le téléphone et oublier le reste du monde pendant que Jim et ses potes ne joueraient que pour moi leurs sublissimes compositions.

Mais cela, Angéla ne pouvait pas le comprendre. Angéla avait seize ans de moins que moi et j’avais beau tout essayer, jamais elle ne serait sensible au charisme et à la voix de Jim Morrison. Pour elle, c’était juste un vieux truc qui la gonflait. Même mon père trouverait ça démodé, disait-elle en plaisantant à moitié tandis qu’elle s’habillait dans la salle de bain transformée par ses soins en piscine-sauna. Nous vivions à la colle depuis six mois. Enfin quand je dis que nous vivions à la colle, je veux dire qu’elle passait le plus clair de son temps chez moi. Son père était un entrepreneur de la région qui avait réussi et voyait d’un très mauvais œil sa fille chérie traîner avec un garçon trop vieux pour elle. Un garçon qui, de surcroît,  n’avait pas vraiment de situation, du moins, pas au sens où il entendait. A cette époque, je bossais en intermittence dans le cinéma. Rien de bien glorieux en vérité. J’étais assistant régisseur. Autant dire que mon job consistait à faire tout et n’importe quoi sur le tournage. Néanmoins, cela s’avérait assez mouvementé et finalement ne me convenait pas si mal. Mais j’avançais en age et ce boulot me laminait physiquement tandis qu’à présent, j’avais de plus en plus de mal à récupérer. Aussi, fis-je mon possible pour esquiver, ce soir-là. Seulement, Angéla n’était pas du genre à s’avouer vaincue facilement. Abusant de son charme, et ça bon dieu elle savait s’y prendre, elle avait fini par m’embarquer dans cette galère.

-         Tu verras, on va se marrer, avait-elle dit d’un ton joyeux avant d’ajouter à la dérobée : en plus mon frère sera là. Et j’ai très envie de voir mon frère.

 

Dans l’ordre chronologique des mauvaises nouvelles de cette soirée, celle-ci venait en haut de la liste. Tête de con, était bien la première chose qui me venait à l’esprit quand je pensais à ce sinistre personnage. Il s’appelait Jeremy et n’avait eu aucun effort à fournir pour m’être, de suite, antipathique. C’était le genre de type qui avait tout pour réussir dans la vie et n’avait pour ces semblables que dédain et mépris. Il crachait à la face du monde en brandissant bien haut le fric que son père avait mis toute une vie à gagner. Rien n’était assez beau, rien n’était assez luxueux pour ce jeune homme. Il était le fils tardif d’un homme que la maladie rongeait jour après jour. Alors, qu’il soit une petite crevure n’avait pas d’importance à ses yeux. Du moment qu’il était heureux, tout lui était pardonné. Et il y avait beaucoup à faire ! A vingt ans, Jeremy avait foiré, de main de maître, sa scolarité et avait aussi eu quelque peu maille à partir avec la justice à plusieurs reprises, pour des histoires diverses et variées, mais surtout après un accident de la route où, passablement éméché au volant de son coupé BMW flambant neuf, il avait doublé en plein virage sans visibilité aucune. Monsieur aimait jouer à la roulette russe sur la route pour épater la galerie. Quatre tonneaux plus tard, le magnifique petit coupé n’était plus qu’un amas de tôle dont on avait sorti le corps sans vie d’une gamine de dix-sept ans. Lui avait été éjecté lors de la collision et n’avait eu qu’une fracture bénigne. Comme quoi, la chance ne sourit pas qu’aux audacieux. Avait-il montré une forme de remord ou même de compassion à l’égard des parents de la malheureuse ? Pas le moins du monde. Non, pour se remettre, alors qu’il n’avait momentanément plus de permis de conduire, il s’était derechef fait offrir un bolide japonais sur deux roues qu’il surnommait, avec beaucoup d’à propos, le suppositoire supersonique. Il traînait en ville, faisant hurler le moteur au nez et à la barbe des gendarmes qui enrageaient, mais savaient qu’il ne serait pas bon pour leur carrière de contrôler ce monsieur. Donc, voilà le personnage avec qui nous avions rendez-vous, celui pour qui, in fine, j’avais abandonné une soirée paisible en compagnie de mes Doors adorés ! Nous étions dans les derniers jours de novembre et l’hiver nous était tombé dessus par surprise. Une pluie fine et glaciale dégringolait depuis le matin. Le thermomètre plafonnait à cinq degrés quand nous sommes arrivés dans ce bar sur les bords du lac. Angéla était tout sourire quand elle aperçut son frère attablé avec sa petite cour, trois garçons et deux filles qui ne le quittaient pratiquement jamais et disaient amen à toutes ses fantaisies.

-         Eh bien Angéla, ma sœur, t’es venu avec ton feignant ! Dit-il d’emblée pour nous souhaiter la bienvenue.

-         Arrête un peu, veux-tu, Jeremy !  Morgan n’est pas un feignant, c’est un écrivain et en plus, il est intermittent du spectacle.

-         Angéla, ne le prends pas comme ça, Sister. Si tu préfères intermittent à feignant, moi ça me va !!!

 

Ils étaient déjà tous à rire de moi alors que je n’étais pas encore assis. Les regards complices, lourds de sens fusaient. Oui, ils avaient dû préparer leur coup. Mais je m’en foutais.

-         Laisse-les dire, a murmuré Angéla à mon oreille, c’est des jaloux.

 

C’est surtout des gros cons ai-je eu envie d’ajouter. Seulement, j’ai gardé mes réflexions pour moi. Je m’étais promis de ne pas m’énerver. C’était un peu comme chez le dentiste. Juste un mauvais moment à passer. Ensuite, Angéla et moi rentrerions à la maison et il ne lui faudrait pas longtemps pour se faire pardonner. Ma principale erreur au cours de cette regrettable soirée fut d’avoir pensé que boire ferait passer le temps plus vite. C’était une technique que j’avais mise au point lors de mon premier mariage. Aux repas de famille, je m’enivrais dare-dare dès l’apéro et ainsi, totalement déconnecté, je pouvais rester des heures à table à endurer les pires conversations et la philosophie prolétarienne de fin de repas sans broncher. Et je vous jure que ce n’était pas là un mince exploit. Sauf que l’alcool avait aussi, il faut bien l’admettre, tendance à me courir sur les nerfs, en plus de me désinhiber plus que nécessaire. Ainsi, aux confins de l’ivresse et de l’inconscience pure et simple, je pouvais primo, m’envoyer n’importe qui ( et c’était déjà arrivé ! ) Secundo, me foutre sur la gueule pour n’importe quels motifs puérils.

Cette soirée a bien duré mille ans. Dès qu’un creux se présentait dans la conversation, pouf ! Jeremy trouvait une petite vanne pour mon compte. C’était sympa comme ambiance. Oh ! Et puis c’est pas méchant, il est moqueur, me soufflait Angéla qui n’avait, jusqu’alors, jamais expérimenté mes colères subites. J’encaissais, j’encaissais, toujours plus. Je n’en revenais pas. Franchement, je sentais la tension monter en moi mais je restais calme. Il a dépassé les bornes encore et encore. Et plus il rajoutait, plus j’étais magnifique de détachement, de contrôle. D’un sens, ceux qui me connaissent ne m’auraient sûrement pas reconnu. Car oui, j’étais fier de rester ainsi aussi zen, tant c’est un comportement, je l’avoue, qui est assez loin de moi, ordinairement. Je mettais cela sur le compte de l’age. Mais voilà, on n’échappe pas à son tempérament. Un moment d’inattention et hop ! Le verrou saute et alors les vannes s’ouvrent en grand.  Encouragé par ma passivité, Jeremy était allé jusqu’à traiter ma mère de putain. Mais pour aussitôt, s’empresser de s’excuser, cependant que sa petite cour pouffait. J’ai ris, moi-aussi avant de prendre son verre de bière et de le balancer sur sa chemise Versace en ajoutant :

-         Je vois que Monsieur est un habitué. Rien que d’en parler, il a lâché la purée sur sa chemise. Va falloir apprendre à te contrôler, mon garçon. Sinon, je crains que tu n’aies des soucis avec les filles. Mais là, je ne t’apprends rien, n’est-ce pas, tocard ! 

 

Brutalement, nous venions de changer de registre. C’en était fini de rire. Il s’est levé furieux, les yeux exorbités de rage. Là, comme à un gamin, il m’a collé une baffe tonitruante. Sa main a claqué comme un fouet infernal sur ma joue. J’en suis resté abasourdis et il a dû le voir quand je me suis levé, très doucement. J’étais presque sonné. Humilié, fatigué, vaincu. Je ne comprenais plus nettement ce qui m’arrivait. Il y avait juste ce désir en moi, ce désir brûlant, incandescent d’en finir, de tout casser.

A cet instant, mon âme réclamait le chaos.

C’est là qu’il s’est mis en garde et a déclaré sur un ton qui suintait la peur :

-         Fais gaffe, feignasse, je fais du karaté. Si tu bouges, je te détruis.

 

Ce sont les derniers qu’il a prononcé avec toutes ses dents dans sa bouche. J’avais été élevé à la dure. Champion en herbe dans mon adolescence, j’avais souvent serré les poings pour faire taire ceux qui prenaient ma petite taille et mes cheveux blonds frisés pour un signe de faiblesse. Dressé par mon paternel à l’usage intensif du coup de boule, j’avais acquis un répondant qui allait me coûter trois renvois en trois ans.   C’était le genre de conditionnement qui laissait des traces profondes et ne s’oubliait pas du jour au lendemain. Je crois que c’est son " je fais du karaté " qui avait mis le feu aux poudres et ranimé cette mécanique en moi. Je l’ai attrapé par le col et lui ai balancé un coup de boule de derrière les fagots. Un coup de boule qui carburait à la fatigue, à l’alcool et surtout à la colère rentrée. Toute la frustration de la soirée était contenue dans ce coup de tête.  Le problème, c’est qu’il avait ouvert la bouche au mauvais moment. L’impact avait été foudroyant pour lui comme pour moi. Ses putains de dents de devant étaient allées se nicher en droite ligne dans mon front. Seulement, je n’avais pas tapé assez fort pour les lui casser net. Et le voilà, le fier à bras avec ses dents plantées à la base de mon cuir chevelu. C’est rien de dire qu’il hurlait à la mort. Et il n’avait encore rien vu. La douleur, déjà insupportable, avait viré carrément à l’insoutenable au moment où, au terme d’une légère rotation sèche de la tête,  je les lui avais déchaussé à vif pour me dégager. Le sang giclait comme d’une fontaine de ses dents qui, à présent, s’étaient décalées vers le bas et dont la racine commençait à poindre. Jeremy a tourné de l’œil tandis qu’Angéla après m’avoir copieusement maudit, lâchait son dîner au grand complet sur la banquette en skaï mauve. Pour ma part, j’attrapais une serviette et me la collais sur le front. Le sang qui s’échappait de mon front avait déjà taché toutes mes fringues. J’étais en pleine dérive et cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Je me sentais perdu tandis que la petite cour de Jeremy  m’insultait de plus belle en prenant soin, cette fois, de garder ses distances. Merde ! j’avais plus l’age pour ce genre de connerie. Comment pouvais-je encore tomber aussi bas ? Je connaissais pourtant ces plans par cœur. Heureusement, Anna, la serveuse, une délicieuse brune aux hanches un peu forte est venue à ma rescousse :

-         T’es vachement patient comme mec, a-t-elle dit en épongeant avec un torchon imbibé d’eau froide mon front transformé en hématome géant. Moi, à ta place, y a longtemps que je l’aurai démonté ce petit con.

-         Oui, t’inquiètes pas, a renchéri le patron, Y aura pas de suite. Ce mec c’est un connard et je ne porterai pas plainte. J’en ai marre de lui et de sa troupe de lèche-bottes. Il peut brailler tant qu’il veut. Ici, c’est chez moi et son père peut bien aller se faire foutre ! S’il est pas content, c’est le même tarif !

 

Je me suis retrouvé aux urgences de l’hôpital de Manosque au milieu de la nuit, avec cette fille que je connaissais à peine mais qui avait tenu à m’accompagner parce que, disait-elle, je n’étais pas en état de conduire. Pendant le trajet, Angéla m’avait envoyé un SMS qui disait simplement : Fin de partie. J’avais répondu par un très sobre : Passe prendre tes fringues quand tu veux. Maintenant, nous étions seuls dans le couloir surchauffé des urgences.  Retour au calme, tout juste ponctué par le balai incessant des ambulances. Anna ployait un peu sous le poids de la fatigue et sortait à intervalle régulier fumer une Pall Mall pour tenir le choc.

-         Au fait, ai-je demandé alors qu’elle se levait, tu aimes les Doors ?

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Commentaires
D
C'est très agréable a lire, très fluide. l'idée est bonne. Bravo. biz did
F
A mon fidèle ami? moi je n'aurais pas attendu autant avant de lui mettre une terha!! avec l'accent c'est mieux!! bises FAFA
L
Bonjour Laurent, j'aime beaucoup ton travail et j'aimerais te proposer quelque chose qui pourrait t'inspirer,t'amuser : Lacryma. Je te copie/colle la suite pour un peu tout t'expliquer (c'est quoi lacryma ? Comment tu peux m'aider ? Pourquoi dès maintenant ?). J'espère sincèrement que tu seras de l'aventure... Attention je colle :<br /> <br /> J'ai donc un projet, Lacryma : une série littéraire communautaire, un livre intéractif qui va ouvrir le 03 septembre. Le concept : j'écris une histoire, diffuse un épisode par semaine, les lecteurs peuvent s'en inspirer pour créer des images, des textes, de la musique et les coller dans le livre. Le but est de se servir des technologies d'internet pour tenter de créer une nouvelle légende, une mythologie. Chaque lecteur aurait 2 galeries, une première avec les créa inspirées de Lacryma, la seconde serait réservée à son travail personnel.<br /> Si cela te tente ou t'intrigue, tu peux aller jeter un coup d'oeil sur mon profil myspace http://myspace.com/lacryma_saison1 pour mieux comprendre.<br /> <br /> J'aimerais qu'il y ait des créations dès l'ouverture en septembre, des créations que j'aime, et donc je te lance ce tonitruant appel pour que tu sois là dès le lancement.<br /> Si cela te tente, tu peux lire le début de l'histoire sur la V1 ( http://www.lacryma.fr ) qui n'est pas encore intéractive mais qui m'a permis de faire connaître l'univers lacryma. Je peux aussi t'envoyer des extraits ou la saison 01 en version imprimable...<br /> <br /> J'espère vraiment que mes mots t'en inspireront d'autres ; j'ai hâte d'avoir ton verdict.<br /> <br /> Je croise les doigts et te souhaite les meilleures créations.<br /> <br /> Lacrymalement<br /> Sébastien Bellanger
J
Merveille de petite nouvelle comme il me plairait d'en écrire!<br /> jm
A
Je sens que je vais me mettre aux doors !
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