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Laurent Ducastel Ecrivain
11 avril 2016

BRUNO

Maurice trônait dans un coin du bar, près de la porte. Adossé au mur, il saluait tous les clients comme s’il eut été une sorte de prince consort de la défonce ordinaire. De temps à autre, il passait sa langue sur les trous de ses dents manquantes, emportées par les litres de mauvais vins et une vie qu’on ne souhaiterait même pas à son pire ennemi. Ses cheveux frisés qui avaient fait sa fierté, jadis, dans sa lointaine jeunesse, avaient viré au blanc légèrement jaune et lui tombaient encore dans le cou comme au meilleur des années soixante, quand la révolution ouvrière et la liberté absolue avaient semblé à portée de main. La suite n’avait pas été à la hauteur. Mais il faut dire les choses comme elles sont, il y a bien longtemps qu’il n’en avait plus rien à foutre. Depuis la mort de sa femme, il y a dix ans, il se contentait de venir chaque jour dans ce bar de la porte St Ouen dépenser sa retraite et brûler en lui ce qui pouvait encore l’être. Avec le temps, Moktar, le patron, était en quelque sorte devenu sa famille. Bien sûr, il avait eu un fils, mais, à présent, il avait honte de son père et de son foutu penchant pour la picole à haute dose. Aussi s’était-il dépêché de tirer un trait sur lui, sitôt sa mère enterrée. La respectabilité était à ce prix. Maurice ne connaîtrait jamais sa descendance autrement qu’en photo et il se demandait souvent comment il avait pu donner le jour à un putain de fonctionnaire modèle. Le mieux était simplement d’éviter d’y penser. De faire le temps qu’il restait sans trop se poser de question, en prenant la vie comme elle venait, un point c’est tout. Il alluma sa énième Gitane sans filtre de la journée et remit une tournée de ce gros rouge sombre et épais qui fouettait le sang, quand le jeune Nordine entra dans le bar.

-          Alors Maurice comment tu vas ? Demanda le jeune beur.

-          Pas mal, tout compte fait. Tu veux boire un coup ?

-          Envoie un pastis, Moktar.

-          Tiens, au fait tu connais Bruno ?

-          Bruno ? Lequel ?

-          Pourquoi y en a plusieurs ?

-          Bah ! Y a celui qui travaille au garage, celui qu’habite dans la cité derrière et puis le grand, celui qu’est avec la sœur de Fatou.

-          Ah, ouais c’est lui !

-          Un peu que je le connais. Tiens, on a encore fait la foire, y a pas trois semaines de ça ! Tu sais que c’est un furieux, celui-là.

-          Pour sûr, tu l’as dit !

-          Putain, il a une de ces descentes, j’voudrais pas la remonter à pied !

-          C’est sûr que ça va pas être facile maintenant.

-          Pourquoi tu dis ça ?

-          Oh ! Pour rien. C’est juste qu’il est mort dimanche.

 

 

 

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Commentaires
O
"une sorte de prince consort de la défonce ordinaire" Belle phrase ! j'aime !
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