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Laurent Ducastel Ecrivain
5 mars 2018

CHEVROTINE

Avant, Rémy n’était pas différent des autres. Je veux dire, il était dans un système qui ronronnait et ce petit confort anesthésiant lui allait parfaitement. C’était un de ces gars dressés pour réussir, qui gravissent les échelons un à un, à la force du poignet. C’était l'exemple même du petit laborieux conscient de n’être pas spécialement brillant, mais qui contrebalançait en étant d’une pugnacité exemplaire. Rémy, c'était le genre qui ne s’économise pas, fait de l’entreprise sa religion et finit toujours par être dans les petits papiers du patron. Et le fait est que cela lui réussissait plutôt bien. D’année en année, il affermissait sa position et son caractère aussi. Car pour en arriver là, Rémy avait appris à sabrer, à couper des têtes sans que la main ne tremble. Ils en riaient alors à table avec ses supérieurs. On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, était la maxime qu’il se ressortait pour faire taire ce qui lui restait de conscience. Rémy ne se posait pas de question. Ce n’était pas son genre. Et puis d’ailleurs pourquoi s’en serait-il posé ? Il allait avoir trente-cinq ans et avait fait de sa passion sous-jacente du pouvoir, un job lucratif. Vraiment, il n’avait aucune raison de s’en faire. Tout roulait pour le mieux. Son avenir semblait tout tracé : Il avait une famille, une bagnole neuve, des crédits en veux-tu en voilà. Enfin bref, tout ce qui ce qui ressemble d’assez près à la réussite sociale en action. Et puis tout s’est arrêté. D’un coup, net.

    D’accord, il y avait eu des signes avant-coureurs, mais vous savez ce que c’est. Personne n’y croit. C’est toujours les autres qui prennent la porte. Jusqu’au jour où, convoqué au bureau, le couperet était tombé. Implacable, froid, inexorable. Ils avaient des arguments aiguisés comme des rasoirs, des arguments qui frappaient forts et ne faisaient pas de détail. Des arguments contre les quels, ni lui ni personne ne pouvait lutter. Rémy a pris le pognon qu’ils lui proposaient et même un peu plus. Il était confiant : S’il retrouvait vite du boulot, ce serait 100 % gagnant. Et il ne doutait pas d’en retrouver.

-          Y a que les feignants qu’en trouve pas, clamait-il lors des repas familiaux du dimanche. S’ils se bougeaient un peu plus, eh bien, ils en trouveraient du travail. Moi, je me donne six mois.

     Seulement, six mois sont passés, puis douze et Rémy n’a jamais retrouvé de boulot. Enfin pas vraiment. Des remplacements à droite, à gauche, mais rien de réellement sérieux. Les deux trois premières années, il s’est vraiment accroché grave. CV, lettres de motivation et tout le toutim. Une véritable organisation qu’il avait mise en place : Plus de cent candidatures mensuelles pour tout au plus deux, trois réponses, souvent des mois plus tard. Cependant, il restait sur la brèche : des heures au téléphone pour décrocher des pseudo-entretiens d’embauche à l’autre bout du monde. Pas de problème, il y allait. Et tout ça pourquoi ? Pour rien. Le vide. Le désert. Le néant absolu avant le plongeon vertigineux aux enfers. Fin de droit, Allocation Spécifique de Solidarité et bientôt, le début de l’errance. À partir de là, c’était le no man’s land. Un monde parallèle, la frontière de la société de consommation. Un monde dont les hommes politique de tous bords parlaient comme les religieux parlaient de Dieu et du paradis : en faisant de grands gestes sans avoir la moindre idée de ce que c’était.  Et pour une raison simple : Tant qu’on n’était pas plongé dedans, personne ne savait ce que c’était.À partir de là, vous n’étiez plus rien ou si peu. Vous ne viviez plus, vous surviviez. En faisant attention à tout, et même là, ça n’était pas suffisant. Les fins de mois devenaient permanents et pour l’état, votre situation au sein de la société se résumait aux aides qu’on vous filait et à la dette que vous traîniez comme un boulet. Un putain de boulet de plus en plus lourd.

      Rémy, lui, il refusait d’y croire. Alors, avec sa famille, ils se sont serrés la ceinture de plus belle. Mais son petit pécule avait fini par fondre comme la neige par grand soleil et, à présent, il était disposé à prendre absolument n’importe quoi. Seulement, même pour des jobs pourris, fallait avoir un certain profil. Il n’y a que ceux qui ne sont jamais passés par là pour croire que c’est facile de faire embaucher dans ce genre de boulot. Et encore, les trois quarts de ceux qui vous donnaient ce précieux conseil, n’aurait pas tenu une journée dans ce monde-là. Pour la main d’œuvre, les boites cherchaient plutôt des jeunes, résistants, si possible pas trop qualifiés pour pouvoir les exploiter sans qu’ils ouvrent trop leurs gueules. Voilà ce que voulaient les patrons, et les clients étaient nombreux à se bousculer au portillon. Rémy n’hésita pas à se brader, mais ce ne fut pas suffisant. Vous êtes trop vieux, trop ceci, trop cela. Il y avait toujours un truc qui ne collait pas. Ça puait les excuses bidon et Rémy le savait.

     Au fil des mois, il sentait qu’il se désocialisait, qu’il perdait pied dans la vie. Désormais, il connaissait les programmes télé par cœur. Des journées, des semaines entières, il restait en survêtement à cuver sa rage, à ressasser sa défaite. Il ne comprenait pas où il avait perdu la bataille. Mais le Rémy, ce n’était pas un type à baisser les bras facilement. Alors, il a persisté encore un moment. Seulement, les employeurs auxquels il se présentait ne comprenaient pas ce qu’il venait faire là avec son bac+5 et son expérience. Cependant, ces entretiens furent encore l’occasion de grands moments d’humiliation ordinaire, d’autant plus violents qu’ils étaient involontaires, la plupart du temps.

     Puis un jour, il eut quarante ans puis quarante et un et désormais, même les fast-foods ne le recevaient plus. Plus personne. Plus d’annonces, plus de candidatures, plus de réponses. Plus rien. Silence radio. Quand les gendarmes sont venus, un après-midi de printemps lui expliquer qu’ils allaient, lui et sa famille, être expulsés sans être relogés, Rémy s’est dit qu’il touchait le fond. Mais de là où il était maintenant, la surface lui semblait si lointaine qu’il n’aurait jamais assez d’air dans les poumons pour remonter. Faute de mieux, ils se sont installés dans le garage de ses beaux-parents. Il faisait froid, mais ils avaient un toit. Rémy ne dormait plus. Il serrait les poings. Il aurait voulu mourir, seulement ça n’aurait rien changé.

    Alors, il a pris toutes ses affaires et bon dieu, il en a fait un grand feu. Ses yeux brillaient d’une étrange étincelle. Un regard de fou, de dément. Sa femme n’a rien pu faire. Il a brûlé les photos, les fringues, les chaussures, les souvenir. Tout, absolument tout y est passé. Quand il n’est rien resté de lui, que les vêtements qu’il portait, le petit matin venait de se lever. Il faisait beau. La rosée avait empli le minuscule jardin. C’était un mercredi. Vers neuf heures trente, il est allé embrasser les enfants, a bu un café puis il a serré sa femme dans ses bras. « Voilà, ma chérie, on est au bout, c’est fini. » Ce sont les derniers mots qu’il a prononcés avant d’entrer dans cette banque avec un fusil à canon scié calibre douze chargé à la chevrotine.

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Commentaires
L
Ne jamais se croire invincible toujours garder les pieds sur terre, cette histoire fait peur...,
L
Désespoir 😥
M
C'est sûr qu'il est bien plus facile de descendre que de monter dans notre société...
A
Merci une fois encore pour ton commentaire. POur ce qui est des ports qu'il soit mal famés ou pas, je dois t'avouer que j'aime TOUS les lieux de départ. Ce sont des endroits ancrés dans l'immédiat, dans une certaine forme d'urgence constante et pourtant propice au dépaysement. Quoi qu'il en soit tu as raison, c'est une bonne idée. A bientôt. Asbury.
O
Je l'aime bien cette nouvelle !<br /> Là tu es au top de ce que tu aimes faire ; et pourquoi pas un de ces quatre faire un truc loin dans un ile ou un port mal famé ?<br /> Bonne et longue route camarade
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