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Laurent Ducastel Ecrivain
12 février 2018

SAC EN PLASTIQUE

Sa vie entière tenait dans des sacs en plastique. Pas n’importe comment, non. Bien rangée comme s’il agissait d’une quelconque armoire. Ses vêtements étaient soigneusement pliés dans un sac plus gros à l’effigie d’un grand magasin parisien dont le slogan disait qu’on y trouvait de tout. Même de la détresse ?

Nous étions sur l’une des lignes les plus chics de Paris, à la hauteur de la station Charles de Gaulle-Étoile et elle dormait très profondément, entourée de ses sacs en plastique. Son corps ondulait, vacillait avec les trépidations du wagon. Elle n’était même pas ivre. Juste au bout du rouleau. Et il n’était pas long ce rouleau, car elle n’avait pas l’air bien vieille. Dehors, il faisait un froid de chien, gris et humide. Alors, elle venait souffler un peu dans le métro avec sa misère autour d’elle comme un rempart de plastique dérisoire, comme un linceul pour se prémunir de leurs regards.

        Eux, ils étaient trois. La vingtaine conquérante. Deux hommes et une femme coulés dans le même moule. Fiers, propres, cheveux impeccablement en place, lunettes en écaille, costards, fringues de marques, porte-documents en cuir. Ils parlaient avec aisance de droit économique en riant bien large de leurs exploits devant leurs profs. Ils la toisaient, tout orgueil dehors et leur jugement était sans appel : dur, implacables, gavé de dédain et de mépris. Ils se croyaient hors d’atteinte. Hors de portée des coups du sort. À leurs yeux, l’existence se réglait en monnaie sonnante et trébuchante. Leurs profs leur enseignaient sûrement comment trancher dans le vif, à eux les élites. Ils étaient appelés à diriger. On les formait pour cela. On les formatait. De la rigueur des lois comptables, on excluait l’humain. Mais dans leurs foutues écoles, on ne leur apprenait pas que la vie est une tordue de première, le genre qui frappe dans le dos et n’épargne personne. Valait mieux pas qu’ils le sachent. Ils n’étaient pas encore armés pour comprendre et ne le seraient pas davantage, le jour où on les foutrait à la porte. Et tôt ou tard, ça finirait par arriver. Ça arrive à tous, maintenant, même aux meilleurs.

        En descendant à la station Argentine, ils m’ont lancé un regard entendu, assorti d’une petite grimace du coin des lèvres qui se voulait ironique, mais qui réussissait tout juste à être pitoyable. Ça en disait surtout long sur le degré d’humanité qui habitait leurs âmes de petits coqs. Je me demande quelle tête ils auraient fait s’ils avaient su que je vivais des aides sociales et que j’avais moins d’un euro sur moi !

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Commentaires
L
J'ai connu des abrutis comme eux , lamentables petits cons qui ne connaissent rien à la vraie vie
F
la roue tourne!! on ne sait pas de quoi demain sera fait, hélas certains se croient inébranlables mais quand on tombe de très haut ça fait très mal! belle écriture comme dab lolo!!<br /> <br /> fafadebelem
M
C'est sûr que tant que l'on n'est pas tombé, on ne se rend pas compte de l'énergie qu'il faut déployer pour espérer remonter respirer à la surface. Par conséquent, un bon retour de manivelle ne leur ferait pas de mal à ces blancs-becs! Cela dit, l'apparence, parfois, de gens qui veulent se donner une contenance, n'est pas maîtrisée, ils ne se rendent pas toujours compte de l'image qu'ils renvoient. Et d'autres le font exprès pour éloigner les gens, qu'ils ne viennent pas fouiner dans leurs vies...<br /> <br /> Bref, j'aime bien votre écriture.
A
justement la précarité au long cours lamine cet élan de vie. C'est bien pourquoi il est si dur d'en sortir.
T
oui certes les traces sont profondes ... mais il y a l'élan de vie ...
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