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Laurent Ducastel Ecrivain
30 octobre 2017

A FOND DE CALE

Après trois semaines de répit, j’étais de retour à fond de cale. Le moral en berne, sans savoir pourquoi. C’était comme si une chape de plomb planait au-dessus de ma tête. Pourtant, tout n’allait pas si mal dans ma vie. Après des années de galères intenses, j’étais en voie de réhabilitation. On me lisait maintenant avec plus d’attention et un éditeur m’avait même commandé un livre, à moi le vaurien de la banlieue nord. Seulement, voilà que je me sentais accablé sans raison particulière. Ce n’était pas un cafard de tous les diables. Non, c’était un sentiment diffus de malaise, de mal-être. Je n’avais brutalement plus goût à rien. Je me traînais comme une larve et cela me collait la rage. D’autant plus que je ne comprenais pas le pourquoi de cette brusque baisse de régime. Etait-ce des problèmes de fric ?  Pas pire que d’habitude, en fait.

Nous étions le vingt-cinq du mois et je n’avais plus un euro valide devant moi. Plus d’essence, plus grand-chose à becqueter, il faisait froid et mon manteau tombait en lambeaux, mais peu importe. J’étais habitué à ça. Enfin, je veux dire autant que faire se peut, évidemment. On ne s’habitue jamais à n’avoir pas un rond devant soi. Comment s’habituer à l’indigence quand la société qui vous entoure glorifie la consommation à outrance ? Comment s’habituer au dénuement quand comme moi, on avait entrevu l’autre côté du miroir ? C’est dingue, c’était hier et pourtant j’avais l’impression que c’était une autre vie, une vie antérieure. Une vie où la musique, le fric, les filles et la came avaient coulé à flot. Aujourd’hui que restait-il de ces années-là ? La sensation d’un rêve éveillé. Un rêve où j’étais passé à côté du sujet sans même m’en rendre compte. Aujourd’hui, je savais que pour un tas de raisons qui m’échappaient alors, j’avais laissé filé le train. J’aurais dû tout plaquer et m’atteler à mes ambitions. Mais j’avais préféré le mirage facile du confort bourgeois, version rock’n’roll parvenu. Un mélange détonant fait d’une volonté, d’un désir sans borne de reconnaissance, de respectabilité, mais aussi d’une inclinaison sans faille pour les plans foireux, l’autodestruction et le sexe sous ses formes les plus variées.

 

À présent, je n’en nourrissais aucune nostalgie. D’ailleurs, je l’ai déjà dit, j’ai horreur de la nostalgie. C’est un sentiment qui ne sert qu’à détourner les yeux, qu’à réfuter le présent alors que moi, je ne rêvais que d’en découdre justement. J’avais juste les nerfs d’avoir été aussi con, d’avoir manqué de discernement et ainsi gâché mes chances. Seulement, je n’étais pas du genre à chialer sur mon sort. J’avais mal à en crever intérieurement, mais ma foi, ce désir inouï d’écrire qui m’habitait, était intact et me tenait debout. Un copain m’avait dit récemment : mon vieux, il faut que tu te prépares à sortir de la précarité. Sur le coup, j’avais pris ça à la légère. C’est vrai, vu d’ici cela semblait si facile. Je me trompais lourdement et n’allais pas tarder à mesurer l’ampleur des dégâts. Car au fur et à mesure que cet avenir auquel j’aspirais, devenait par petites touches, concret. Eh bien, je vous l’avoue, j’étais désemparé ! Oui, vraiment, je ne savais plus réellement comment l’aborder, comment réagir et ma première réaction fut de rendosser ma défroque de douleur, en redoublant d’ardeur. Il y avait cette chanson, ce blues déjanté des Doors qui disait : « I been down so goddamn long that it looks like up for me » (il y a si longtemps que j’ai touché le fond que cela semble haut pour moi) et c’était exactement ce que je vivais. La vérité pourra vous sembler bizarre, mais j’avais peur de cette sensation de légèreté qui m’avait accompagné ces dernières semaines. Peur du revers de la médaille, peur du retour de bâton. Pourtant, c’était juste un premier pas vers un retour à une certaine forme de normalité.

Seulement dans la bataille, j’avais laissé bien plus de plumes que je ne voulais l’admettre.

On ne sort pas indemne de la précarité. On n’en sort pas d’un claquement de doigts. J’avais dû renoncer à tant de choses pour survivre que l’idée même du bonheur m’était devenue étrangère. J’avais développé des techniques, des postures pour me durcir, pour me maintenir à la surface sans trop prendre de coups et voilà que je ne savais plus baisser la garde. Immanquablement, je finissais par devenir le reflet de mon état : un indigent. J’avais beau lutter, en être conscient, c’était bel et bien ainsi. La précarité s’incrustait insidieusement en vous, bien profondément. Elle faisait aussi le vide autour de vous.

La détresse sociale fout la trouille à la populace bien pensante. C’est comme la gale ou la peste. Les petits cadres ont peur de l’attraper.

Mais comment leur en vouloir quand jusqu’aux services sociaux de la ville, censés nous venir en aide, on nous jetait la pierre, on nous traînait dans la boue. Il fallait la voir cette connasse qui perdait ses cheveux avec son teint de mort, son pull vert dégueu où trônait une tête de berger allemand, il fallait voir la jouissance, le plaisir qu’elle prenait à nous mettre le nez dans la merde à nous les pauvres, nous qui vivions de rien. Vous n’avez qu’à vous bouger le cul qu’elle disait en substance, la morue. C’était facile comme conseil. Facile et bien dégradant. Et surtout, cela évitait de se poser des questions auxquelles elle n’avait aucune réponse. Comment en étions-nous arrivés là, tous autant que nous étions ? Elle s’en foutait, ce n’était pas son problème. La pauvreté, le dénuement, elle y était confrontée toute la journée. Et avec les années, tous ces miséreux et leurs insurmontables problèmes devaient lui sortir par les yeux. Jamais pourtant, avec son regard froid et dur, empreint d’un mépris de fonctionnaire qu’elle ne cherchait même pas à dissimuler, jamais elle ne pourrait appréhender pleinement l’âpreté de l’existence de tous les malheureux qui défilaient dans son bureau comme un cortège d’âmes en peine, une cohorte sans fin de recalés de la vie. Non, son boulot terminé, elle devait vite rentrer chez elle retrouver son petit intérieur paisible et protecteur tandis que nous, nous continuerions à être en première ligne sans un rond, sans rien à bouffer, avec les huissiers, ces hyènes avides en embuscade, prêts à nous dépecer. Elle n’était pourtant que le dernier rouage d’un système qui broyait les âmes en vantant un libéralisme sauvage où la condition humaine n’avait plus aucune valeur.

 

La nuit s’avançait dehors, fouettée par le vent et la pluie d’octobre. Je restais chez moi, à tourner en rond comme un lion en cage avec mes états d’âme à la noix, les nerfs à vif. Je donnais deux, trois coups de téléphone, mais il n’y avait personne, nulle part. Je laissais des messages partout. En vain. Le monde était aux abonnés absents, ce soir. Aussi décidais-je de me finir aux neuroleptiques, à défaut d’autre chose. J’avalais les cachetons sans traîner. Une dose de cheval et un fond de vodka. En route pour le brouillard et les limbes, la défonce légale et bon marché. Parfois, il est si relaxant de se fuir un peu, fermer les yeux et n’être plus rien. Une âme en suspens. Juste un moment.

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Commentaires
L
Toucher le fond...... relever la tête, donner un coup de pied au fond , on remonte...... comme dans une piscine après avoir plongé mais beaucoup plus dur...... la volonté, l'envie de vivre malgré tout.... 💗
A
Merci Jojo, je sais que c'est un poncif, mais seuls ceux qui sont passés par là savent vraiment de quoi je parle. Nous en parlions la semaine passée à propos de Sophie, mais c'est vrai d'un certain nombre d'entre-nous... biz
J
J'ai déjà eu cette impression de désolation, d'abandon, il y a très longtemps mais ça reste et ça me permet d'être plus ouverte et à l'écoute des autres. Bravo, ç'est beau, triste mais ç'est une bonne leçon d'humilité que beaucoup auraient besoin d'avoir...
P
Toujours excellent texte. Très belle et profonde description d'un passage en creux. Avoir vécu ce genre de situation, ou seulement l'avoir craint, laisse une trace indélébile pour la vie. C'est la nature humaine, et ce texte est profondément humain. Il ne juge pas, il scrute, il observe.<br /> Belle journée,<br /> Pierre
C
Tu as dû approcher la pauvreté de près, dans le cas contraire ou tu es bien informé, ou tu es un fin observateur. J'ai toujours scrupule a en parler mais on ne devrait jamais avoir honte de ses origines, quelles qu'elles puissent être. Il n'y avait pas de fric chez moi, je me souviens que ma mère faisait crédit pour le pain, pour les courses en fin de mois.Elle bossait dur mais elle avait un salaire de misère. Récemment en discutant avec mes autres soeurs (nées bien plus tard elles n'ont pas connue les années noires) elle a dit une chose qui m'a fait rougir, parce que je sentais qu'elle culpabilisait. Elle a dit que je ne mangeais pas toujours à ma faim. Byzarrement je me suis sentie très mal. Je me souviens de plein de détails par rapport à la nourriture, les fringues trop usées, etc mais je n'en ai pas tant souffert que ça finalement. On s'habitue à tout il est vrai. <br /> <br /> En tout cas excellent texte! C'est quand que tu publies? ;o)<br /> <br /> Kiss
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