Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Laurent Ducastel Ecrivain
30 mai 2016

TERRAIN D’ENTENTE

C’était une petite asiatique qui parlait un français très sommaire, mais qui, par un des miracles dont seule l’administration est capable, s’était retrouvée à l’accueil des Assedic. Autant vous dire que même avec la meilleure volonté du monde, elle ne pouvait faire face à l’armée de chômeur qui défilait, chaque jour, devant elle. Les formulaires et le nombre incroyable de papiers qu’il fallait pour constituer le dossier était tellement invraisemblable qu’il était quasiment impossible de le remplir du premier coup. De fait, sa journée de travail consistait surtout à temporiser et à affronter le courroux des usagers en colère. Sauf que ce n’était pas de simples usagers, de simples clients. Non, c’était des gens qui avaient perdu leur boulot, des gens qui sentaient les barreaux de l’échelle sociale se fracasser sous eux et étaient prêts à tout pour ne pas sombrer dans le gouffre qui les guettait. Il fallait du doigté, de la compassion, un zeste de fermeté et une patience à toute épreuve. C’était un poste à haut risque. Les dérapages étaient fréquents et il suffisait d’un rien pour qu’un quidam parte en vrille. C’était un poste où personne n’allait de bon cœur. Un poste en première ligne. Aussi, c’est elle que l’on envoyait au feu, sous la mitraille. Elle et son français minimaliste. Huit heures par jour, les mots lui manquaient, lui jouaient des tours cependant que les usagers s’arrachaient les cheveux en tentant de lui faire comprendre l’étendue de leurs problèmes, l’intensité de leur souffrance. La queue était longue comme un jour sans pain, cet après-midi-là et je m’armais de patience en attendant mon tour. C’était la troisième fois que je venais et je pensais sincèrement voir le bout du tunnel. Devant moi, il y avait juste deux types qui parlaient fort en gesticulant dans une langue que je ne connaissais pas, mais que j’identifiais probablement comme une langue de l’Europe de l’Est. Et soudain, ce fut leur tour. 

-          C’est pourquoi ? Leur demanda la petite asiatique.

-          Nous, plus travail, répondit le plus gros des deux.

-          Vous avez des papiers de fiches de paye ?

-          Nous, pas France.

-          C’est vrai, renchérit le second, nous pas France, mais bon travail.

-       Oh! Mais ici, pas de travail pour vous, déclara avec une grande candeur et une conviction appuyée l’employée de l’administration. Ici, nous sommes Assedic. Faut avoir des papiers de fiches de paye pour avoir de l’argent.

-          Oui, très bien argent.

-          Même chèque très bien.

-          Mais le formulaire, il faut remplir, tout complet.

-          Complet ? Non, non, nous maçonnerie.

-          Maison, travaux, c’est travail.

-          Oui, mais quand ?

-          Six mois, nous venir par train. 

-          Le train ? C’est un peu plus bas. Vous avez vos papiers de fiche de paye ? Il y a du monde.

-          Pas gentille, toi. Nous honnêtes.

-          Oui. C’est vrai. Bon travail.

-          Et le formulaire ?

-          C’est pas nous. Nous, maçonnerie. 

     Il s’ensuivit vingt bonnes minutes d’une conversation de plus en plus surréaliste que l’incompréhension finissait par envenimer. Dans un autre lieu que celui-ci, on aurait pu croire à sketch des hilarants Monthy Python et dans la queue, certains riaient presque aux larmes. C’est qu’avec les minutes, on avait atteint des sommets dans l’art très british du non-sens. Au bout d’un moment, une employée au teint palot s’approcha d’eux. Je crus qu’elle allait enfin venir en aide à sa malheureuse collègue qui frôlait la noyade. Mais non, elle lui demanda juste de se décaler sur le côté du guichet cependant qu’elle m’appelait. Moins de dix minutes, plus tard, j’étais dehors quand soudain les deux hommes sortirent et il n’était nul besoin de comprendre leur langue pour voir qu’ils étaient furieux. L’un d’eux tenait dans ses énormes mains, un formulaire tout fripé des Assedic qu’il retournait dans tous les sens et qu’il finit, passablement énervé par balancer dans la poubelle du parking, tandis que son comparse levait les bras au ciel. Au loin derrière la vitre fumée, la petite asiatique, faisait elle aussi de grands gestes qui laissaient transparaître son irritation. Je me suis dit que visiblement, ces trois-là n’avaient pas réussi à trouver un terrain d’entente.

Publicité
Publicité
Commentaires
C
Salut my dear<br /> <br /> Comment vas-tu? ça fait un petit bout de temps que je n'ai pas de nouvelles, mais comme dit le diction "pas de nouvelles...pas de nouvelles" Lol ;)<br /> <br /> Je plaisante, j'espère en tout cas que tout se passe pour le mieux pour toi. <br /> <br /> Je t'embrasse à bientôt!
J
Ouais bien vu la scéne! Toujours avec autant de brio ! salut !<br /> jm
C
Des fois on se dit qu'on aurait aimé être là...;o)<br /> <br /> bises Chris
Publicité