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Laurent Ducastel Ecrivain
24 février 2009

ENCEINTE

Elle s’est assise sur le bord du lit et dans un large sourire, a tout simplement dit :

-          Je crois que je suis enceinte.

J’en suis resté bouche bée. Terrassé, KO. C’était une belle journée de printemps, une journée dont je n’attendais rien. Une journée où il n’y avait aucune raison de se méfier. Et voilà, comment la vie basculait en un clin d’œil. Édith y avait mis les formes. Sortant son meilleur numéro de charme, elle m’avait cueilli au creux du ventre tandis que sous un air que je voulais le plus cool possible, je tentais d’encaisser le coup alors même que le plancher se dérobait sous moi.

-          Tu crois ou tu es certaine, ai-je fini par articuler après avoir ravalé ma salive .

-          Eh bien, à vrai dire… je suis enceinte de deux mois.

Putain ! Deux mois ! Oh la la ! Il y eut dans mes veines comme un vent instantané de panique. Une sueur froide qui glaça mon sang comme les eaux de la banquise. Deux mois ! Là, dans son ventre et je n’avais rien vu venir. Rien de rien. Pas la moindre petite différence, pas le moindre signe. Pas d’envie bizarre, pas de mauvaise humeur intempestive. Rien. Je titubais un instant jusqu’au lit, à la dérive. Puis, inexplicablement, je me suis vu sourire benoîtement. Peut-être encore sous le choc, je restais d’un calme olympien. J’allais même jusqu’à m’allonger sur le lit avec l’air satisfait du parfait mâle de base.

Pourtant, à y regarder de plus près, il n’y avait pas de quoi pavoiser. Notre situation n’était pas vraiment des plus reluisantes. Encore convalescents de la précarité qui nous avait plongés dans le noir pendant cinq longues années, nous n’avions toujours pas un rond valide devant nous. Mais plus terrible encore, le temps filait à toute allure et sous peu, j’allais avoir 42 ans. Eh oui, je n’avais plus rien du jouvenceau ! J’avais beau faire le malin, à l’intérieur, les années étaient bien là. Pas une ne manquait à l’appel. Tout comme mes petites rides qui apparaissaient ici et là, mes cheveux blancs encore noyés dans la masse et mes foutus kilos en trop qui alourdissaient ma silhouette. 

En examinant la situation bien en face, elle devenait carrément effrayante pour le pauvre bébé à venir. Car enfin, je me mettais à sa place : qui a envie d’être le fils ou la fille d’un écrivain fauché de 42 ans qui survit grâce à des bouquins de commandes ? Pas grand monde, je suppose. Il était évident qu’on avait déjà vu de meilleurs départs dans l’existence. Bon, mais on en avait aussi vu de pire, non ?

En attendant, c’était une panade terrible ! Nous remontions tout juste cette foutue pente et avec Édith, on se disait qu’on allait enfin pouvoir souffler un peu. Et voilà que nous allions renouer avec les couches, les biberons, les réveils en pleine nuit, les pleurs, les coliques, les conseils incessants des proches qui savent toujours mieux que nous comment élever nos mômes, les poussettes récalcitrantes, j’en passe et des meilleurs. Je vais vous dire, je n’arrivais pas à y croire. La grande question qui me taraudait, c’était : allais-je tenir la distance, cette fois ? Est-ce que les années, les galères à répétitions qui m’avait poussé dans mes retranchements, dans une position défensive permanente, prêt à rendre coup pour coup, est-ce que tout cela ne m’avait pas, ne nous avait pas trop amoché ?

Très vite, au cœur de la nuit suivante, je me tapais un bon coup de flip. J’envisageais les événements sous le jour le plus noir. Ça tournait et retournait en boucle dans ma tête. Avais-je encore au fond de moi encore quelque chose de bien, de beau à offrir à cet enfant ? En vérité, je n’en étais pas si sûr. Et puis mon enfant serait un enfant de vieux. Plus tard, j’étais certain de lui faire honte. C’est qui ce mec, ton grand père ? J’entendais déjà les quolibets à l’école. Mais surtout aurais-je la même complicité, saurais-je tisser le même lien qu’avec mes premiers enfants, mes deux filles qui étaient maintenant quasiment des adolescentes ? Le petit matin venu, j’avais un mal de crâne de concours et pas la queue d’une réponse à toutes ces foutues questions. 

Dans un premier temps, Édith non plus n’avait pas vraiment su sur quel pied danser. Pour elle aussi le compteur avançait et une grossesse pouvait maintenant s’avérer périlleuse. Finalement après maintes réflexions, elle avait décidé que sauf complication, elle allait le garder cet enfant du hasard. Et je savais que je n’allais rien faire pour l’en empêcher, pour l’en dissuader même si au fond, cela n’avait peut-être rien de raisonnable. Seulement, la raison et moi, nous avions souvent fait bande à part.

Père à 42 berges, si je m’attendais à ça ! Quand je pense que mon horoscope de l’année m’avait prédit des surprises ! Ça pour une surprise, c’en était une de taille. Une XXL même ! Pour une fois qu’il ne racontait pas que des conneries !

Je ne savais même pas comment j’allais annoncer la nouvelle à mes parents. Déjà qu’ils me prenaient pour un dingue de première. J’entendais à l’avance ma mère me dire : « Mais c’est pas vrai, tu m’auras tout fait ! » S’en suivrait alors inévitablement la valse des lamentations, probablement qu’on s’engueulerait un bon coup avant qu’elle n’appelle la famille entière pour lui apprendre ma dernière facétie. Enfin, ça lui occuperait au moins la soirée, voire la semaine, ce qui n’était finalement pas si mal. Quant à mon père, la perspective d’être à nouveau grand-père le plongerait à n’en pas douter dans une de ces joies dont il avait le secret, un peu comme si on lui annonçait qu’on allait lui couper une jambe. Les amis, les vrais, se réjouiraient sûrement. Les autres nous prendraient pour des cinglés, tout juste bons pour un séjour à Saint Anne. Cela ne changerait guère de d’habitude. En fait, il faut le dire, l’avantage de prendre de l’age, c’est qu’on se fout, qu’on outrepasse le qu’en-dira-t-on pour la simple raison qu’on a plus de temps à perdre avec ces conneries. Ok, ce n’était pas une situation vraiment raisonnable, mais qu’importe, c’était comme ça et pas autrement. D’accord, je n’étais plus un jeunot. Et alors ? Je tenais une forme d’enfer et j’étais certain d’avoir encore quelques livres sous le pied. Pire, Je ne m’étais jamais senti aussi structuré qu’à présent. Il est vrai également que j’avais mis presque trente ans à en arriver là.

       Nous étions maintenant au milieu de la nuit, et à dire vrai, je me sentais détaché. Pas réellement serein, mais pas non plus anxieux. Je laissais venir. Qu’y avait-il d’autre à faire ? Cela me paraissait tellement abstrait pour l’instant. J’étais dans la position du type sur le pont du navire qui fume sa clope tranquille parce qu’il sait que la tempête se prépare. Sur le balcon, je savourais la fraîcheur de la nuit en ne pensant à rien d’autre qu’aux étoiles qui m’aspiraient tandis que dans la chambre voisine, dans le ventre d’Édith, la vie était en train de faire son chemin.

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