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Laurent Ducastel Ecrivain
3 mars 2009

12 SEMAINES

Allez savoir pourquoi, mais de temps à autre, sans raison évidente, le destin ou appelez-le comme vous voulez, décide subitement de vous pourrir la vie. Édith et moi, nous étions sur une sorte de nuage depuis un peu plus d’un mois. Bon dieu, c’était vraiment incroyable : nous allions être parents une fois encore. Nous n’avions encore rien dit à personne. Les inquiétudes légitimes des premiers jours avaient laissé place en nous à une bien étrange sensation d’excitation. Édith était en douzième semaine. Il faisait une chaleur à crever et nous poireautions dans le couloir incandescent de l’échographie. J’étais comme un dingue, comme monté sur ressort, ne touchant plus terre. Au bout d’un quart d’heure qui m’avait paru un siècle entier, une infirmière était venue nous chercher. Avec Édith, nous nous sommes regardés en se marrant avant d’entrer dans la minuscule salle de l’échographie. Le médecin était un type tout maigre, à moitié chauve, le genre très pro, pas vraiment aimable de prime abord. Sans perdre une minute, Édith s’est allongée sur la table tandis que le médecin préparait sa bécane en compagnie de son assistante. Ça y était : On allait voir le haricot, la dernière de mes œuvres ! Hé, y a du monde là dedans ? Plaisantais-je pour masquer ma nervosité. Mais le toubib lui, n’avait pas l’air d’avoir la moindre envie de se marrer. Mais alors pas du tout. D’une voix grave qu’il voulait le neutre possible, il lâcha sans préavis : Je crois qu’il y a un problème. Ce fut comme le couperet sur la tête de cette belle journée printanière. Je savais d’emblée ce qu’il voulait dire, tout ce que cela impliquait.

-          Oui… Il y a un problème, a-t-il fini par répéter distinctement au terme d’une courte respiration. On va vérifier, mais je pense que le bébé ne vit pas.

Il m’a semblé que le monde entier s’écroulait sur mes épaules. C’était un poids immense. Un poids soudainement si lourd à porter. On était sur une autre planète depuis des semaines et voilà qu’on venait de s’écraser, par surprise. Retour à la case départ. La vie avait foutu le camp en douce, comme elle était venue : sans prévenir. Le bébé n’était pas viable. Nous ne pouvions pas lutter, il n’y avait strictement rien d’autre à faire qu’à encaisser le coup. L’équipe médicale a fait de son mieux pour nous expliquer le truc en douceur, mais les faits étaient là, nets et précis. Ils s’étalaient indéniables et irrémédiables sous le curseur du médecin.

Subitement, nous venions de changer de registre et je me sentis de trop dans la pièce exiguë. Aussi ai-je demandé à sortir, ce qui semblait arranger tout le monde. Même si je m’étais fatalement préparé à cette éventualité, je dois bien avouer que j’étais légèrement sonné dans le couloir où les autres patientes en attente, ne manquaient pas de me dévisager. Soudain, leur fierté béate de femme enceinte m’insupportait au plus au point.

J’ignore vraiment pourquoi mais cet incident, somme toute assez banal, m’affectait d’une façon inattendue. Je me retrouvais en plein cagnard, seul sur le parking à toucher le fond en attendant le verdict final. Un verdict qui ne ferait qu’entériner le diagnostic préalable. Pour la première fois depuis un bail, j’eus vraiment envie d’une clope. Peut-être pour combler un vide qui finalement ne menait à rien. Je me sentais parfaitement idiot avec tout mon bonheur en prévision sur les bras, tous ces projets à la noix que j’avais échafaudés pour du vent. C’était comme quand les invités ne viennent pas alors que vous vous êtes mis en quatre pour faire la cuisine. Ce n’était pas vraiment grave, restait juste ce sentiment diffus de gâchis, de rendez-vous manqué. Cela faisait partie des impondérables de l’existence et n’avait rien de vraiment surprenant. C’était même tristement ordinaire. Pour le corps médical, c’était la routine pure et simple. La vie s’était juste arrêtée en chemin. Point, à la ligne. Elle nous faisait faux bond. Elle se tirait. Elle nous plantait là comme deux cons qui avaient passé l’âge et avaient voulu une fois encore croire au père Noël.

Les jours suivants, je traînais à mon corps défendant, un accablement venu d’on ne sait où, sans vraiment m’en ouvrir à Édith. J’imaginais par quoi elle passait cependant que, comme à son habitude, elle donnait le change en faisant comme si de rien n’était. Aussi ne me sentais-je pas le droit de l’importuner avec mes petits états d’âme. Je laissais tout cela pourrir en moi puis disparaître peu à peu, comme les rochers de l’île d’Oléron à la marée montante.

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