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Laurent Ducastel Ecrivain
29 septembre 2014

R.I.M.A

Personne n’a jamais su ce qui avait poussé Marco Bellon à s’engager dans l’armée et à plus forte raison dans les régiments d’infanterie de marine aéroportés. Ce n’était encore qu’un gamin frêle et fragile avec des cheveux noirs et un regard perçant qui faisait craquer toutes les filles. Jusqu’à ma propre sœur qui était folle de lui et n’en démordait pas. Un jour, elle l’avait ramené à la maison et c’est ainsi que j’avais fait sa connaissance. Marco et moi, on n’avait pas tardé à être inséparables. Cette année-là, nous découvrions tous, les uns après les autres, les plaisirs de la vie, les premiers instants de liberté totale et on se jetait dessus comme la misère sur le monde. Nous allions de fête en fête, insouciants, insatiables, gorgés de cet appétit de vivre que rien encore n’a altéré. Ma copine de l’époque s’appelait Valérie. C’était une petite blonde, un peu plus vieille que moi. Nous nous étions rencontrés dans une soirée où nous venions tous les deux de nous faire larguer. Elle par un mec d’Ermont qui devait se tuer l’année suivante en moto, moi par une fille que j’aimais éperdument, mais qui n’appréciait guère devoir me partager avec d’autres filles. Des mauvaises langues avaient vendu la mèche. Que voulez-vous même à seize ans, les envieux ont bien souvent une âme de délateur. J’aurai, par la suite souvent à faire à ces minables qui iront jusqu’à bousiller ce que j’avais de plus cher. Mais, c’est là une toute autre histoire. Pour l’heure, Valérie et moi nous consolions réciproquement. Et il faut dire qu’elle savait s’y prendre pour me réconforter. De fait, force est d’avouer que j’avais appris beaucoup de choses sur le plaisir des filles en sa compagnie. C’est aussi avec elle que je m’initiais à l’herbe. Je me souviens, j’avais déjà bu plus que de raison et nous dansions enlacés l’un contre l’autre quand elle m’avait tendu le stick. Ne voulant pas passer pour un parfait crétin, j’avais tiré dessus comme un sauvage et j’en avais été pour mes frais ! Ensuite, alors que dans un état second, je délirais en racontant des blagues incohérentes qui ne faisaient rire que nous, Valérie m’avait entraîné dans une chambre à l’écart et juste avant d’être malade comme un chien, j’avais fait connaissance avec sa peau blanche et ses merveilleux petits seins roses. En rentrant chez moi, j’avais l’impression d’être différent. D’avoir aperçu un nouveau monde plein de promesses et de joie qui s’ouvrait là, juste devant moi. C’est pourtant cet été-là qu’elle déménagea dans le sud où son père venait d’être muté. Pour ma part, comme tous les ans, ma mère m’envoyait passer deux mois chez mon père, histoire que je lui foute un peu la paix. Quand je rentrais en septembre, les choses n’avaient pas évolués en ma faveur. A peine de retour, Valérie était venue me trouver pour m’expliquer que c’était fini.

- Ne m’en veux pas, avait-elle dit, mais c’est Marco… Je suis amoureuse de lui.

- Ça ne m’étonne pas, avais-je répondu, toutes les filles sont amoureuses de Marco Bellon.

- Oui, mais cette fois c’est la bonne, avait-elle lâché pour conclure.

 

Il n’y avait rien à ajouter. J’étais vaincu d’avance et il suffisait de les voir ensembles pour comprendre. Marco, lui, se sentait tout penaud à mon égard. Il n’aimait pas trahir ces amis. C’était vraiment un mec bien, tous ceux qui l’ont connu vous le confirmeront. Dans la semaine qui suivit, il était passé chez moi. Il voulait qu’on en parle, qu’on s’explique :

- J’avais pas l’intention de te faire ça, avait-il marmonné en baissant les yeux, pas à toi. Mais là, tu vois, c’était plus fort que moi. Cette fille, elle n’est pas comme les autres.

- Je sais très bien ce que tu veux dire. Ne t’inquiète pas, je me remettrai. Et puis, il faut dire les choses comme elles sont, ajoutais-je dans un élan de sincérité et de lucidité qui me surprit moi-même, J’adore Valérie et franchement je la regrette déjà mais bon, elle et moi… Je veux dire… C’était pas comme entre vous. Qu’est-ce que tu veux, comme dirait ma mère, c’est la vie. Elle est raide dingue de toi. Je ne peux pas lutter.

- Je suis désolé, vraiment. Si je peux faire quelque chose pour toi.

- C’est bon, Marco. Je suis content que tu sois venu me voir. J’espère que ça ne changera rien entre nous. 

- Tu peux compter sur moi.

 

De fait, Valérie avait raison : Cette fois, c’était la bonne. Marco était mordu et il descendait dans le midi chaque fois qu’il le pouvait. Tout son fric passait là-dedans. Durant l’année suivante, j’eus régulièrement de ses nouvelles, d’autant plus que je sortais un moment avec sa sœur. Puis, peu à peu, la vie nous sépara et nous nous perdîmes de vue. Il m’arrivait encore de le croiser de loin en loin quand j’appris par hasard qu’il s’était engagé dans l’armée. Un soir de décembre où nous descendions en bande sur Paris, je tombais sur lui sur le quai de la gare.

- Alors il paraît que tu t’es engagé dans l’armée.

- Ouais, dans l’infanterie de marine.

- T’as pas choisi le plus tranquille. Tu pars quand ?

- Dans deux semaines.

- Eh bien mon pote, te voilà dans de sales draps.

- Ecoute, j’ai fait un choix. J’en pouvais plus de glander ici, à me taper des petits boulots de merde. Avec l’armée, au moins, je vais me bouger. J’en ai vraiment envie, tu sais. Et puis c’est mieux payer et ça fera moins loin pour aller voir Valérie quand j’aurai des perms.

 

Marco n’en a pas dit plus et j’ai supposé qu’entre lui et Valérie rien n’avait changé. Ils étaient partis ensembles pour longtemps et voulaient entrer de plein pied dans la vie. Son engagement dans les R.I.MA avait suscité l’admiration de plus d’un à St Leu, certains jurant qu’ils n’allaient pas tarder à l’imiter. Mais en fait, Marco demeura le seul à avoir eu les tripes de le faire. Je ne devais plus le revoir pendant deux ans avant que Bert ne débarque chez moi, un soir, en sa compagnie. Il rentrait tout juste du Liban, où il venait de passer les six derniers mois. Ce n’était plus le Marco Bellon de St Leu. Non c’était un autre gars, plus dur, plus sombre et même son regard à présent semblait trempé dans l’acier. Nous sommes quand même allés fêter ça sur Paris. Dans un bar, un type a eu la mauvaise idée de nous chercher des noises. Il devait bien faire une bonne tête de plus que Marco et pour tout dire, c’était une vraie armoire normande, ce mec. Il se foutait de notre gueule en demandant à son pote en salle, si leur bar favori n’était pas brusquement devenu un repère de folles tordues. Enfin, vous voyez, ce genre de chose. Nous, on l’a laissé dire pendant quelques minutes mais, dans mon coin, je sentais la tension monter. D’un seul coup, Marco a bondi sur son tabouret, a brisé sa chope de bière et en une fraction de seconde, il était à l’autre bout du bar. L’autre n’avait pas eu le temps de réagir qu’il avait le tesson prêt à lui taillader le visage. Marco Bellon a planté son regard dans le sein et il a dit :

- Sale merde, tu vas t’excuser de suite ou la putain qui te sert de mère va passer le reste de ses jours à faire un puzzle avec ta gueule.

 

Le costaud n’en menait pas large et son pote n’a pas bougé d’un iota. Il y avait un silence de mort dans le bar. Pas besoin d’être devin pour voir que Marco était prêt à aller jusqu’au bout. Si cet abruti avait bougé ne serait-ce qu’un cil, Bellon l’aurait taillé en pièces exactement comme il le lui avait promis. Finalement, tout était rentré dans l’ordre et nous en étions restés là. Néanmoins, même si Bert et moi étions familiers d’une violence certaine, la sienne nous avait, sur le coup, tétanisé.

De fait, la soirée avait tourné court et nous avions décidé de rentrer. A St Leu, sur la place devant la gare, chacun était reparti vers son destin. Je ne devais plus jamais revoir Marco Bellon. A quelques jours de là, il embarqua pour le Tchad avant de retourner au Liban. Dans les mois qui suivirent, des bruits alarmant commencèrent à circuler en ville sur Valérie. Des rumeurs malsaines qui parlaient de dope, d’overdose et pour finir de mort. Au début, je n’y ai pas prêté attention mais comme elles persistaient, j’ai décidé d’aller trouver Bert.

- T’es pas au courant, fit-il en se sifflant un gin tonic, eh bien mec, ça va te foutre un coup. Parce que c’est pas des conneries. Valérie est morte, mon vieux. Les pompiers ont retrouvé son corps dans une poubelle sur le port de Marseille. Une O.D, mec c’est moche. Paraît qu’elle défonçait grave.

- Comment tu l’as su ?

- C’est les parents de Marco qui me l’ont annoncé. D’ailleurs, depuis, j’ai plus de nouvelles de lui.

 

Les mois, les années ont filé. La roue a tourné pour nous tous. Bert s’est marié et je l’ai, lui aussi, perdu de vue du jour au lendemain. Je n’ai plus jamais entendu parler de Marco Bellon, enfin jusqu’à ce matin de 1991 où j’ai appris sa mort, quelque part sur un front quelconque. J’espère que vous êtes bien là-haut tous les deux et qu’enfin vous avez trouvé la paix. Salut Marco, Embrasse Valérie pour moi. 

 

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Commentaires
K
Oui, dans toute la vérité de ce mot!!!<br /> jm
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