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Laurent Ducastel Ecrivain
30 octobre 2006

RETROUVAILLES

Elle était juste devant moi à la caisse et je n’y avais pas prêté attention plus que ça. Elle tenait par la main un petit garçon qui ne devait pas avoir plus de quatre ou cinq ans tandis que je rêvassais les bras encombrés de victuailles. Et soudain, alors que je posais mon dîner sur le tapis roulant, j’avais croisé son regard. Dans ma poitrine, mon cœur s’était serré, ma respiration bloquée avant même que j’ai eu le temps de comprendre ce qu’il m’arrivait. ELLE était là. A moins d’un mètre. Je n’osais pas y croire bien qu’il n’y ait pas à douter. C’était bien Isabelle K, la fille qui avait définitivement mis fin à mon enfance. C’était à présent une femme magnifique qui arrivait en douceur sur la quarantaine. Ces traits s’étaient affirmés dans le bon sens, elle semblait sûre d’elle, rayonnante, bien dans sa peau. Isa avait toujours ses magnifiques cheveux noir mi-long qu’elle replaçait d’un geste machinale derrière son oreille. Mais surtout, elle avait conservé cette grâce un peu spéciale, délicate et longiligne, que seule possèdent les filles de plus d’un mètre soixante quinze. Je me souvenais encore précisément de chaque parcelle de son corps magnifique et de tout l’amour qu’il m’avait inspiré. Longtemps après qu’elle eut quitté la région pour aller s’installer dans l’Est du pays, longtemps elle m’avait écrit de délicieuses lettres pleines de cette tendresse adolescente alors que, déjà, je tendais vers le noir côté de mon âme. Je lui répondais toujours avec plaisir en prenant soin de lui cacher mon inclinaison galopante pour la gente féminine et surtout mon penchant tout juste naissant pour les produits psychotropes. Elle avait, la première, cru en moi avec cette conviction sans faille dont elle emplissait chacune de ses lettres et qui m’avait si souvent soutenu dans une période où mes parents étaient aux abonnés absents et où je multipliais les expériences sans jamais trouver mes marques.

Mais à présent, elle était là, rangeant ses courses cependant que son gamin la faisait rire, de ce même rire doux qui m’avait ému à l’époque. J’aurai aimé lui parler, marcher encore une fois rien qu’un instant à ces côtés mais je n’en ai rien fait. Non, j’ai baissé la tête et détourné le regard tandis qu’elle s’éloignait au milieu de la foule clairsemée de cette fin d’après-midi automnale. Adolescente, Isa avait mis tellement d’espoir en moi que je n’avais pas eu le courage de la décevoir. Comment lui expliquer que la vie avait mal tourné et que la chance n’avait pas été au rendez-vous. Comment lui avouer que je vivais des minima sociaux après lui avoir farci la tête de mes rêves de gloire à la con. D’accord, il y avait prescription et elle aurait probablement compris ma situation. Mais je ne voulais pas voir cette expression de pitié, de déception dans ses yeux. Je voulais rester dans son souvenir comme l’adolescent hâbleur, frimeur, bouillant de vie et d’espoir que j’avais été. Je fus simplement heureux de constater que même vingt-cinq ans plus tard, mes goûts en matière de femme n’avaient guère évolué.

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