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Laurent Ducastel Ecrivain
6 décembre 2015

50

Ce matin était un jour dont je n’avais jamais penser qu’il arriverait vraiment. Il m’avait toujours paru, même jusqu’à un passé très récent, extrêmement lointain. Et quand je dis lointain, je pense en fait inatteignable. C’était une chimère, un moment dont certains parlent, mais qui ne frappe jamais les mecs comme moi. D’ailleurs, en me réveillant ce matin, je n’avais absolument rien senti d’anormal, rien de spécial. Bon, je fais le fier mais j’étais quand même allé directement dans la salle de bain, histoire de voir si rien n’avait bougé. Par chance, c’était bien le même reflet que me renvoyait le miroir. Certes, il n’était pas terrible et avait connu des jours meilleurs. Toutefois, j’avais appris à faire avec.

Par conséquent, ce jour soi-disant exceptionnel semblait surtout être un jour ordinaire. Et, je dois dire que ça ne m’allait pas si mal.

Pourtant, le calendrier, lui, me disait carrément le contraire. 6 décembre 2015. Pas de doute, pas de tergiversation possible. C’était donc vrai. Ça n’arrivait pas qu’aux autres. Ce matin, j’avais 50 ans. Putain ! 50 piges, un demi-siècle. Comment était-ce possible ?

Comment pouvais-je avoir DEJA cet âge-là ?

Enfin ! 50 ans, c’est pour les vieux. Et moi, je ne pouvais pas être vieux. C’est vrai, le Rock me faisait le même effet que quand j’avais 15 ans ? D’ailleurs, mes 15 ans, je les convoquais chaque fois que je jouais de la guitare. Et ils répondaient toujours présents. Les sensations, l’électricité, le frisson, tout ça était encore là. Ce n’était pas un signe, ça ? Ou alors, était-ce en fait totalement pathétique pour un homme de mon âge de vibrer comme un dingue en écoutant un bon vieux Pearl Jam des familles ?

Dans mon enfance, les hommes de 50 berges avaient l’air un peu fatigués, bedonnants, sérieux et établis. Leur jeunesse avait mis les voiles, même dans leurs yeux et je me disais que jamais je ne voulais leur ressembler.

Mais aujourd’hui, j’y étais.

Et c’était allé foutrement vite.

Bon, je vous l’accorde j’avais de l’embonpoint, et dorénavant, il n’était plus question de conduire, ni de lire sans lunettes. Signe des temps, ma luxuriante tignasse s’était clairsemée, virant du blond au blanc me faisant passer de Robert Plant à Captain Igloo ! 

Pour autant, je n’avais pas l’impression de ressembler à mes oncles au même âge. Je pétais le feu. Et j’avais appris à tenir ma douleur à distance, disons suffisamment pour que ce soit vivable. J’avais été loin dans les abysses, mais par miracle, j’étais revenu et à présent, je voulais vivre à fond la caisse, plus fort que jamais. Je voulais le bonheur, le vrai, pas cette connerie mercantile qu’on refile au bon peuple en leur faisant gober que posséder tout un tas de trucs fera d’eux des gens heureux et épanouis. Le bonheur, c’était tout à fait autre chose. Ce n’était pas un individu facile, le bonheur. C’était même un putain de fourbe, celui-là. Tu l’apercevais, tu aurais presque pu le toucher du doigt. Mais quand tu croyais l’attraper, diablerie ! Ce n’était jamais lui. La vérité, c’est que le bonheur, c’était un as de la fausse piste et qu’il n’était jamais là, où on nous jurait qu’il était. Cependant, j’en avais ma dose de ce nihilisme ambiant qui devenait la norme et je voulais voir l’autre versant maintenant, coûte que coûte. Alors, puisque le temps filait, je vais vous dire, le bonheur j’étais prêt à aller le chercher par la peau du cul en violentant les codes et les conventions s’il le fallait.

Toutefois, je dois concéder que désormais, des choses avaient quand même changé : les postures convenues des uns et des autres m’emmerdaient grave, les égocentriques chroniques me fatiguaient plus que de raison et j’avais de plus en plus de peine à donner le change. Désormais, je tenais pour acquis que ma génération ne changerait pas le monde, qui d’ailleurs s’en foutait. Désormais, j’avais fait un grand feu de mes dernières illusions politiques et pisser sur les braises pour qu’il n’en reste rien. A quoi bon, puisque désormais indifférenciables sur l’essentiel,  la gauche et la droite n’étaient plus qu’un fatras inerte, un méandre d’idées mortifères vouées à l’ultra-libéralisme qui échouait partout, cependant que la peste brune dévorait de moins en moins sournoisement les élections. Aujourd’hui, le jour même de mes 50 ans, pour les élections régionales, les derniers sondages annonçaient l’extrême-droite en tête dans 6 régions sur 13. Et pour toute réponse, le personnel politique de droite comme de gauche et l’ensemble des médias étaient juste pathétiques. Ils criaient au loup, ces crétins, sans comprendre vraiment que pour notre plus grand malheur, une large partie de la population n’aspirait plus qu’à lui. C’était à pleurer. Mais je n’en avais nul envie. 

Alors qu’importe que désormais, les jeunes de mon quartier m’appellent monsieur avec respect, cependant qu’au fond de moi, je restais ce petit lardon de banlieue, ivre de liberté et rétif jusqu’à l’os à l’autorité. Aujourd’hui comme hier, je ne me reconnaissais pas dans l’ordre établi et dans cette foutue bien-pensance qui étouffait tout ce que la vie avait de bon et d’intense. Aujourd’hui, alors que la maison brûlait, sans que je n’y puisse rien changer, aujourd’hui je voulais vivre plus ardemment que jamais, je voulais mon compte de soleil avant la débâcle, la mienne et celle qu’on nous préparait.   

Il y a peu, j’ai lu un article qui disait que ma génération connaissait une mutation inédite dans l’histoire. On nous appelait les quincados et jamais des femmes et des hommes n’étaient arrivés à notre âge en telle condition physique et psychologique. L’article disait que beaucoup d’entre nous vivaient comme des trentenaires alors même que certains de nos enfants avaient à présent pratiquement cet âge-là. Bref, nous inventions une nouvelle forme de quinquagénaires, à la fois mature, serein et toujours très profondément rock’n’roll. Voilà qui me convenait parfaitement. Finalement, et contre toute attente, je me sentais plutôt bien dans mon âge.

Aujourd’hui, j’ai 50 ans. Qui l’eut cru ? 

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