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Laurent Ducastel Ecrivain
3 mars 2014

EN MANQUE

J’étais là au milieu de la nuit, en état de manque intégral. Je tournais, je virais dans la maison les nerfs à vif, le feu dans le sang. Dans mon salon, à faire les 400 pas, j’avais dû couvrir la distance de la terre à lune aller-retour.

Ex-toxico, je pensais pourtant en savoir long sur le manque, sur les addictions, celles qui vous poursuivent des années après et vous rattrapent quand vous ne vous y attendez plus, quand vous vous croyez hors d’atteinte. Depuis que j’avais décroché, il y a plus de vingt ans,  il m’était arrivé de temps à autre d’avoir envie d’un fixe quand ça allait mal, quand la douleur là-dedans devenait si intense que personne, absolument personne ne pouvait plus comprendre. En réalité, je n’avais replongé qu’une seule fois, en 97, je crois. Un plan à la con, un soir backstage. Je n’étais pourtant ni déprimé, ni désireux d’une petite virée en enfer. Willy en guise de cadeau m’avait proposé un peu de dope. Je ne sais pas même pourquoi j’avais accepté. Par bravade peut-être, par inconscience surement. Le mélange terminé, je m’étais enfermé dans les chiottes avec la pompe. Je voulais ce moment pour moi seul. La came, c’est un truc de solitaire. Et puis, je n’ai jamais aimé le spectacle du junkie en pleine ascension avec ses yeux qui partent dans le vide en vous laissant en plan. Ce soir là, tout comme la première fois douze ans plus tôt, je savais que c’était une connerie. J’avais senti cette putain de bourrasque brulante monter en moi et j’avais dégueulé mes tripes, une fois encore. J’étais de retour au pays des zombies, près de la cuvette.  J’ai laissé passer l’orage et je me suis senti soudain lamentable. Hé mec ! Me suis-je dit, t’as vraiment rien appris de toutes ces années ? Vraiment, t’aimes ça te mettre minable et sombrer sur le carrelage cradingue d’une salle de concert de banlieue ? Je m’étais retrouvé seul, en pleine descente, cinq du mat, sur un parking désert, dans ma caisse neuve, à racler le fond alors que je m’étais cru tiré d’affaire. Là, puant la mort et l’abandon, je m’étais juré de ne plus jamais revivre cela.

Dès lors, cette porte-là fut définitivement fermée. Mais cette nuit, c’était un manque d’un tout autre genre qui m’étreignait. Un manque d’un genre nouveau qui me rendait presque aussi irritable, presque aussi à bout qu’une addiction chimique ignoble. Il n’était pas beau à voir le scribouillard, se trainant depuis la veille comme une loque, comme si un ressort s’était cassé en lui. Vraiment, je ne me reconnaissais plus, l’impatience à fleur de peau, l’attente si prégnante qu’elle me dévastait le ventre, me rendant totalement incapable de penser à autre chose. Boire manger, écrire, pas la peine, pas en état.

Et puis soudain, la délivrance.

 

Le cadran du téléphone qui s’allume et sa clarté brutale qui illumine la pièce dans l’ombre. Dans la foulée, les premières notes de la sonnerie coupées net par la main avide. Et puis ta voix à l’autre bout du monde qui m’emplit soudain. Si complètement que je m’écroule K.O sur le canapé défoncé du salon. Je souffle, je respire, je balance quelques conneries qui évacuent la pression. Tu ris à pleine gorge, tu me bouleverses si profondément, si intensément que ma voix se serre et trahit mes efforts pour jouer le mec détaché parfaitement serein. Et je remercie le destin de t’avoir mise sur mon chemin, toi et toute la vie qui te cavale dans les veines. Oui, pas de doute possible. Je suis en manque de toi.

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Commentaires
M
Ce texte me parle, intimement, dans des situations quelque peu transposées, mais on s'identifie aux personnages, du moins ce fut mon cas...
M
Ce texte me parle, intimement, dans des situations quelque peu transposées, mais on s'identifie aux personnages, du moins ce fut mon cas...
A
Merci pour ce délicieux com...
R
J'adore ce texte... Il est... comment trouver le mot juste? Puissant. Oui voila, puissant. Vrai et puissant. Une puissance qui se dégage de l'écriture, de tes mots.
R
pas la drogue Laurent .. le manque c'est le manque d'amour le manQUE de vie , une oreille qui t'entend une oreille qui te comprend... je ne sais pas la suite .. mais je pense sincèrement que qq qu'il se passe .. toi et moi c'est une magnifique rencontre ...tu m'émeus.. tu es tendre , un chien fou en maque de caresse .... je ne suis pas forcement la réponse ... mais je veux bien être ton étoile.. Inch allah
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