Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Laurent Ducastel Ecrivain
16 juin 2015

ZEPHYR

    Elle avait l’air d’une reine de beauté après la fête, quand les invités ont foutu le camp et qu’il ne reste que le silence et le vide. Ses traits étaient tirés et la surcharge de maquillage n’arrangeait rien à l’affaire. Ses cheveux noirs se balançaient sur son visage. À un rythme régulier, elle les ramenait en arrière, les faisant glisser derrière son oreille dans un geste gracieux qui respirait la lassitude. Son cendrier était plein des clopes qu’elle fumait à la chaîne en buvant à fines gorgées un peppermint, seule sur l’immense banquette rouge. Il devait être dans deux heures du matin, dans ce pub rue Lafayette, une douce nuit de ce début d’automne. Nous, nous étions quatre, à boire de la bière en habillant le monde entier pour l’hiver à coup d’humour acide, exactement comme quand nous étions au lycée. Mais il suffisait de nous regarder pour comprendre que la jeunesse nous tournait le dos. Oui, elle nous plaquait là, séance tenante, avec nos crânes dégarnis et nos rêves à la con sur les bras. Pourtant, nous avions encore intact de nombreux stigmates de l’adolescence en dépit des années qui filaient, des coups du sort et de la vie qui s’acharnait à tout crin à faire de nous des crétins, serviles, mais respectables. Le plus touchant, c’était que mes compagnons avaient gardé en eux, un vrai fond d’idéalisme, une volonté certaine de rester en partie à la marge que le fric et la condition sociale n’avaient pas entièrement entamés. Je suis certain qu’au fond d’eux, ils continuaient à croire qu’un autre monde, alternatif et plus humain, était possible. Sauf que moi, qui vivait dans un dénuement qu’ils soupçonnaient à peine, moi je savais que les carottes étaient cuites et qu’il n’y avait plus rien à faire de ce coté-là. Chaque jour, la précarité gagnait du terrain. Mais ils ne voulaient pas l’entendre. Pas maintenant. Non, ils voulaient juste s’enfiler des bières, s’anéantir dans l’alcool, en racontant des conneries si possible salaces qui nous feraient tous marrer.

    Elle, elle avait l’air perdu dans ses pensées. Des pensées pas terribles, chargées de tristesse, peut-être même de rancune. J’aurais bien aimé lui faire partager un peu de notre ivresse, de notre relative insouciance. J’aurais voulu qu’elle soit avec nous, dans l’instant, vivant et braillant au nez et à la barbe de la morale, des conventions, de l’ordre établi et de la mort en embuscade. Je voulais que le zéphyr qui soufflait dans mes veines, ranime l’éclat dans ses yeux. Elle était si diablement émouvante. Mais je n’ai rien pu faire. Il y avait tant de solitude dans ses yeux. 

Publicité
Publicité
Commentaires
A
peut-être, qui sait ?
T
surement .. ou peut-etre pas le zahir est cette singularité qui ne parle qu'à deux etre connecté peu importe où et quand ....
A
Il est probable qu'il y ait effectivement de ça. Finalement, je me dis que j'aimerai bien savoir ce que recèle son zahir. Peut-être cela demeura-t-il un mystère ?
T
peut-etre a -t -elle au fond de ses pensées un zahir bien singulier et non partageable avec quiconque .. cf Borges ;-) <br /> joli moment attrapé avec tes mots
A
Cher JM, effectivement je pense à faire publier mes nouvelles. En fait, j'y travaille mais pour l'instant, c'est en suspend. Mais ça semble prendre tournure. A voir à la rentrée. A+ Laurent
Publicité