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Laurent Ducastel Ecrivain
26 décembre 2017

RESURRECTION

-        Monsieur, pouvez-vous m’aider ? m’interpella-t-il alors que j’allais monter dans ma voiture.  

 C’est vrai, j’ai été surpris. Ici, à l’écart de la route, il ne passe jamais personne. C’est d’ailleurs pour ça, que j’ai choisi cet endroit, sur les hauteurs. On surplombe la ville. La nuit, c’est un spectacle sans pareil, une ruche diffuse, frénétique et lumineuse s’agitant dans un brouhaha lointain. Autours de ma maison, ce n’était encore que des vergers, les derniers de la région. Bien sûr, ils étaient menacés. Et sans la reprise en main du domaine par son petit-fils, il est certain que le propriétaire les aurait vendus. Comment résister aux millions que les bétonneurs en série allongeaient pour le moindre lopin de terre constructible ? Et là, il y avait de quoi faire tout un lotissement. Seulement voilà, le petit-fils en question était un écolo militant, ayant un temps œuvré sur la ZAD de Notre Dame des Champs. Les promoteurs, cyniques, avaient cru bon de citer Audiard : « à partir d’un certain chiffre, tout le monde écoute ». Seulement, ils venaient de tomber sur un spécimen rarissime : un mec intègre aimant cette terre que ses aïeux exploitaient depuis des générations. Jamais le fric de ces minables arrogants ne remplacerait ça. Et ils étaient trop étroits d’esprit, trop ignares, pour pouvoir le comprendre.  

-        Monsieur, pouvez-vous m’aider ?

La question avait été posée sur un ton neutre, sans dramaturgie excessive. L’homme qui se tenait devant moi avait l’air d’être assez jeune, la peau mate, les cheveux longs, noirs et ma foi, assez crasseux, une barbe sans entretien, un anorak par-dessus une espèce de djellaba ayant connue des jours meilleurs et des baskets déchirées qu’il portait sans chaussettes, malgré le froid qui commençait à mordre.  

-        Qu’est-ce que vous foutez là ? Vous n’avez pas vu que c’est une propriété privée ?

-        Non, pardon, j’ai juste suivi le chemin.

-        Si c’est Thibaut que vous cherchez, vous vous êtes trompés d’une maison. La sienne c’est celle en contrebas, lui indiquais-je en le prenant d’abord pour un de ces altermondialistes qui défilaient chez mon voisin.

-        Non, je ne cherche pas Thibaut en particulier. Je cherche juste un endroit pour me restaurer un peu et dormir, si c’est possible. Mes pieds me font atrocement souffrir.

-        Pas étonnant avec ces baskets pourries… enfin, sans vous offenser, réalisant qu’emporté par mon énervement, j’avais encore parlé trop vite et sans contrôle.

-        Vous ne m’offensez pas.

-        Seriez-vous un de ces migrants ? lui demandais-je franco, car en vieillissant j’avais tendance à ne plus m’encombrer de faux-semblant et laissait ma nature profonde reprendre le dessus.

-        Je crois qu’on peut dire ça, en effet.

-        Je suis désolé, sincèrement, je ne voulais pas vous blesser, ajoutais-je ne sachant que dire.

-        Vous n’avez pas à l’être. Vous n’y êtes pour rien.

-        En tout cas, je ne sais pas d’où vous venez, mais vous parlez très bien notre langue, félicitation, tentais-je pour me rattraper.

-        Merci. Si je parle beaucoup de langues, c’est qu’on me parle dans toutes sortes de langues.

-        Ça ne m’étonne pas. Et les gens ne doivent pas être franchement sympathique… un peu comme moi, je l’avoue.  

-        Vous n’imaginez pas à quel point.

-        Pourquoi n’allez-vous pas dans un de ces centres d’hébergement que l’Etat met à votre disposition ? Ils en parlent sans cesse à la télé.

-        Eh bien, pour ne dire que la vérité et rien qu’elle, je crains que la police ne me tombe dessus.

-        Vous êtes sans papiers ?

-        Evidemment.

-        Vous risquez effectivement de vous retrouver en centre de rétention.

-        Sans vouloir vous contredire, je crains de risquer un peu plus que ça.

-        Je ne le crois pas, non. Les autorités montrent les muscles pour calmer l’opinion, mais dans les faits, ils ne vont pas vous renvoyer chez vous, dans un pays en guerre. La commission européenne des droits de l’homme s’y opposerait. Même réfugié, vous avez des droits dans ce pays.

-        Je  crois que vous ne saisissez pas pleinement la situation. Si la police ou les services secrets me trouvent. Ils vont au mieux m’interner et beaucoup plus probablement m’assassiner sans autre forme de procès. Et ça ne sera pas la première fois, vous pouvez me croire.

-        Vous n’avez pourtant pas l’air d’un dangereux criminel, ni d’un barjot radicalisé.

-        Je ne suis ni l’un, ni l’autre. Je suis Jésus.

-        Jésus, rien de moins.

-        Jésus… Confirma-t-il.

-        Et donc… vous êtes… de retour ?

-        Il semblerait, oui.

-        D’accord… Et vous n’avez pas l’impression d’avoir, comment dire, 2000 ans de retard ? demandais-je, entrant dans son jeu, sur un ton franchement ironique.

-        Ecoutez, pour ce que j’en voie, je n’ai pas l’impression que les choses aient tellement changé. Certes, il y a eu beaucoup de progrès, mais en y regardant de plus près, l’humanité ne me semble pas en meilleure posture aujourd’hui.

-        Vous marquez un point. Sans vouloir être indiscret, on peut vous demander ce que vous avez fait pendant tout ce temps ?

-        Eh bien, je dois vous confesser que je n’en sais rien. C’est comme si toutes ces années avaient filé en un claquement de doigts.  J’ai toujours su que j’aillai ressusciter, mais pas que ça prendrait autant de temps. 

-        D’après ce que j’en sais, ce n’est pourtant pas votre coup d’essai. La dernière fois, si je ne m’abuse, vous étiez revenu au bout de trois jours seulement.

-        Là, c’est vous qui marquez un point.

-        Il y a longtemps que vous êtes à nouveau parmi nous ?

-        Deux mois, après demain.

-        Et pourquoi revenir maintenant ? J’imagine que ce n’est pas pour porter la bonne parole. De ce côté-là, on peut dire que vos disciples ont bien bossé.

-        On peut voir les choses ainsi. Sauf que ce n’est pas ma parole qu’on vénère apparemment, mais ce que l’Empereur Constantin en a fait. Ce qui est loin d’être la même chose, vous pouvez me croire.

-        Et donc, votre mission aujourd’hui, c’est quoi ?

-        Sauver des âmes, peut-il y en avoir une autre ?

-        Bien sûr… suis-je bête ? Eh bien, laissez-moi vous dire que ce n’est pas gagné.

-        Je vous l’accorde, c’est une tâche immense. J’ai pu en avoir un aperçu tout au long de la route. Il semble que plus il y ait d’hommes sur cette terre, moins il y ait d’humanité.

-        C’est que nous montre le journal tous les soirs. Vous êtes sur la route depuis votre… retour ?

-        Je n’ai pas eu le choix. A Jérusalem, dès que la nouvelle a été connue,     ça a été le tollé !

-        Parce qu’en plus, certains le savent ?

-        Evidemment. Mais, on les a vite réduits au silence. Visiblement, aujourd’hui plus que jamais, je représente une menace. Au point qu’ils ont évoqué la sécurité nationale, et que les services secrets ont mis ma tête à prix. Je n’avais plus d’autres options, j’ai dû fuir. Et pour le coup, je suis devenu un migrant. Le flot de ces malheureux qui se déverse sur l’Europe m’a, c’est vrai, bien aidé à passer inaperçu. D’autant qu’ils m’ont de suite reconnu comme l’un des leurs. Aujourd’hui ma place est près d’eux. Malheureusement, ma présence les met en danger.

-        Mais la chrétienté, les cathos, les protestants tous ces gens, enfin je veux dire, ils sont censés croire en vous, en votre message. Et ils ne vous ont pas protégé ? ils ne vous ont pas offert le gite et le couvert, comme c’est l’usage ? Vous êtes censé être leur Messie quand même !

-        Cessez d’être ironique, voulez-vous ? Vous avez vu ce qu’est devenu ce que vous appelez la chrétienté ? Si je changeais l’eau en vin sous leurs yeux, ils m’excommunieraient sur-le-champ ! Ou mieux encore, ils me traiteraient d’hérétique. Croyez-vous que la foi profonde, l’accès au divin passe par ce rigorisme halluciné, ou  ces bâtiments, ces temples ostentatoires, ces ecclésiastiques apprêtés comme des majestés ?  

-        Mais tous ces gens travaillent à votre gloire.  

-        La leur, pas la mienne ! moi, je n’ai pas besoin de gloire. J’ai besoin d’amour et de paix, d’équilibre et de justice, d’égalité, de concorde entre les hommes. Ca a toujours été cela ma mission, aujourd’hui comme hier, pour répondre à votre question de tout à l’heure.

-        Je me demande si finalement, vous n’êtes pas un barjot radicalisé ?

Sans vraiment y réfléchir, j’ai remis la course que j’avais à faire à plus tard. Je dois avouer que j’étais plus troublé que je ne l’aurai voulu. Surtout de la part d’un homme qui avait de tout temps été imperméable à la religion, quand bien même il avait été à l’école catho. Ceci étant, il est aussi vrai qu’il se dégageait quelque chose de lui, une aura indicible, une paix intérieure, une force sereine qui brillait dans son regard.

Bref, j’ai fait entrer Jésus chez moi.

Il s’est installé sur le canapé, tandis que je lui servais une assiette de spaghettis bolognaises qui datait de la veille. Jésus n’en avait jamais mangé. Il a trouvé ça très bon. C’est encore meilleur réchauffé, ai-je cru bon d’ajouter en lui servant un fond de Bourgogne.

-        J’ai de l’eau si vous préférez, mais vous devriez gouter ce Mercurey, il n’est pas mal du tout. Et celui-là, vous n’aurez pas besoin de le transformer.

-        Vous avez raison, il est bon. Il n’est pas sûr que j’arrive à faire aussi bien.

-        Je vous en ressers un verre, comme ça, on finit la bouteille.

-        C’est pas de refus.

-        Vous savez ce qu’on dit quand on termine une bouteille, marié ou pendu !

-        Cette fois, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’opterai pour la première solution, rétorqua-t-il dans un franc sourire. 

-        Je peux vous poser une question ?

-        Faites, je vous en prie.

-        Vous qui venez du passé, qu’est-ce qui vous manque le plus, dans cette sorte de vie nouvelle qui s’ouvre à vous ?

-        Que croyez-vous ? Marie-Madeleine, évidemment. Personne ne me manque autant qu’elle. Et… le silence aussi. Dans votre temps, le bruit est omniprésent.

-        Dans mon temps comme vous dites, il semble que la plupart des gens aient de plus en plus peur du silence.

-        Ils ont surtout peur d’eux-mêmes, ce n’est pas nouveau. Il en était déjà ainsi dans le temps qui m’a vu naitre.

-        Ils en sont arrivés à avoir peur de nommer les choses. C’est un détail que je trouve pourtant significatif. Aujourd’hui, c’est l’heure des substituts. Il n’y a plus d’aveugles, plus que des non-voyants.

-        C’est l’univers virtuel. Le substitut est devenu la norme de votre époque ! Le vrai, comme la liberté, les effraie, car ce sont des valeurs exigeantes, violentes même et dont le prix est toujours élevé. Certes, il y a de la technologie, vous vivez plus longtemps, bien des choses ont évoluées, mais sur le fond, comme je vous le disais, rien n’a vraiment changé. La misère est plus sournoise, elle a aussi plus de visages, et les nantis n’ont jamais été aussi puissants.

-        Vous avez du pain sur la planche, si je peux me permettre. 

-        Ne m’en parlez pas, je n’ai pas le droit au désespoir.  Puis-je à mon tour, vous posez une question ?

-        Allez-y.

-        Croyez-vous en moi ou disons en ma représentation ?

-        Pour être honnête, non. Les églises ont depuis la nuit des temps préemptées la spiritualité, car c’est un formidable outil de contrôle des masses. Bien sûr, il existe d’authentiques croyants, j’en ai déjà rencontré et j’ai un immense respect pour eux. Mais, les trois quarts du temps, ce sont juste des bigots, des trouillards qui croient s’acheter une conduite pour le paradis. Et puis, il existe bien d’autres formes de spiritualité, et toutes n’ont pas besoin d’église pour atteindre la transcendance.

-        Pourquoi ne dites-vous pas Dieu ?  

-        Dieu est concept parmi d’autre, non ?

-        On dit que je suis son fils, rappelez-vous !

-        Oui, et franchement, je n’aimerai pas être à votre place. Mais quelque chose me dit que vous le saviez déjà, n’est-ce pas ?

-        Je l’avoue.  

-        Prenez ça, lui disais-je en lui tendant une paire de Running, elles ne sont pas neuves, mais en meilleur état que vos baskets. Et prenez aussi, ces chaussettes d’hiver. Ici, le froid peut devenir violent.

-        Pourquoi faites-vous ça ?

-        Vous en aurez plus besoin que moi.

-        Je vous remercie sincèrement, dit-il d’une voix douce, avant de s’endormir presque instantanément.

 

Je le laissais se reposer, cependant que je m’enfermais dans mon bureau à l’étage, où du travail en retard m’attendait. Quand je revins deux heures plus tard, il avait disparu. Sa vaisselle avait été faite, mais à part ça, aucune trace de lui. J’ai pris la voiture et ai sillonné un moment les routes alentours. En vain.

 

A mon retour, il y avait des voitures partout dans le chemin. Dans ma cour, mais aussi dans les fossés, des hommes me scrutaient avec un air évident de suspicion.  Bien qu’ils soient en civil, il n’était nul besoin d’avoir fait Saint Cyr pour voir que c’était des flics.

-        Vous habitez là ? questionna sèchement un grand type, la quarantaine, tout en noir, barbe de trois jours et cheveux à ras.

-        A vous voir, il serait étonnant que vous ne connaissiez pas déjà la réponse à votre question.

-        Contentez-vous de répondre.

-        Vous êtes chez moi, en effet. Et je compte cinq voitures dans ma cour et quatre sur le chemin, et des hommes visiblement lourdement armés disséminés tout autour de nous. Alors, il me semble que s’il y a un de nous deux qui a le droit à des explications, c’est bien moi, non ?

-        Capitaine Ménard, DGSI, me balança-t-il laconique.

-        Que se passe-t-il pour que les services secrets envahissent ma maison ?

-        Nous recherchons un individu dangereux.  Il a été vu sur la route à proximité de chez vous, ce matin de bonne heure.

-        Et ?

-        Et on doit s’assurer qu’il n’a pas trouvé refuge dans une des maisons du coin.

-        D’accord. Iriez-vous jusqu’à me dire qui est cet homme ?  

-        Il se fait passer pour un migrant, mais c’est un terroriste. Sous ses airs avenants, l’individu est extrêmement radicalisé et nous craignons qu’il passe à l’acte sous peu. reprit le Capitaine Ménard, avec la conviction d’un acteur de Plus Belle La Vie, avant de poursuivre : On l’a vu près de votre chemin.

-        C’est vrai, dis-je sans chercher à nier, j’ai bien vu un migrant ce matin.

-        Vous lui avez parlé ?

-        Oui.

-        Que voulait-il ?

-        Savoir si c’était la bonne direction pour l’Angleterre. Il avait l’air perdu.

-        Quoi d’autre ?

-        Rien, il a dit merci et a repris la route, immédiatement. J’avais une course à faire, je suis parti. Vous voyez bien d’ailleurs, je rentre juste !

-        S’il revient, ne faites rien. Surtout, surtout… a-p-pe-lez-nous, martela Menard en prenant soin de bien épeler les lettres.

-        Je n’y manquerai pas, mentis-je avec aplomb.

Sans un temps mort, ils étaient remontés dans leurs voitures, dans un tonnerre de gesticulations, comme s’il s’agissait d’une opération militaire. Toute cette frime, j’avoue, m’avait tapé sur les nerfs.

J’ai repensé à Jésus. Il avait raison. Finalement, les choses n’avaient pas beaucoup changé. Les hommes de paix représentaient toujours une menace pour l’ordre établi, tandis que le vrais terroristes semaient l’horreur sans vergogne,  servant d’épouvantail au bon peuple, cependant qu’en coulisse le mal œuvrait comme jamais et encaissait les dividendes. 

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Commentaires
P
Belle écriture, belle idée, bravo!
T
Amen.
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