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Laurent Ducastel Ecrivain
19 juin 2017

L'ESPOIR, C'EST POUR LES CONS

-        Faut tenir, Laurent, faut pas perdre espoir, disait-elle cependant que sa morgue, son dédain hurlait le contraire.

-        L’espoir va-t-il payer mes factures ? lui envoyais-je sans un temps mort.

-        Non, mais ça va finir par aboutir. Je sais que c’est long, mais vraiment il y a de l’espoir pour vous.

-        Eh bien, que l’espoir aille se faire foutre, m’entendis-je lui dire en me levant d’un bond. 

   Sans attendre, au comble d’une putain de colère froide, je sortais de son bureau et partais, sans même claquer la porte. Derrière moi, je ne laissais qu’un silence bourgeois, emprunté, bien propre et bien convenu. Probablement qu’elle soufflerait un grand coup avec la satisfaction du devoir accompli, avant de reprendre une tasse de thé chinois, acheté à prix d’or dans une boutique bio. 

   Je n’avais pas atteint le bas de l’escalier que je me demandais déjà si je ne venais pas de mettre quinze années d’efforts à la poubelle. Quinze années à en baver, quinze années à ravaler sans cesse sa fierté, à bouffer des clous et des graviers. Et voilà qu’au moment même où je croyais avoir fait mon trou, un tout petit trou, on m’évacuait comme un laquais. J’avais fait le job, le livre s’était correctement vendu et maintenant, on me priait de déguerpir sans faire d’histoire.

Et je n’allais pas en faire, ces fumiers le savaient.

Sinon, plus jamais je ne publierai.

Sinon, ce serait la mort.

   J’ai marché sur les boulevards, ressassant ma colère. A dire vrai, j’étais plus décontenancé, plus déçu que réellement en colère. Car, je ne comprenais pas tout à fait ce qui m’arrivait. Et surtout, pourquoi ça m’arrivait ? J’avais joué selon leurs règles. Et, disons-le, j’avais même été plutôt discipliné et carrément corporate. Mais ça n’avait pas suffi. En fait, pour les mecs comme moi, les moins que rien, les sortis de nulle part, ça ne suffit jamais.

   Et là, tandis qu’elle me parlait et vantait mon travail en regardant ailleurs, évitant mon regard pour envoyer des SMS, j’avais soudainement compris que l’espoir dont elle se gargarisait, n’était qu’une chimère de plus.

   Oui, l’espoir, celui qui nous tenait tous debout, l’espoir n’était, en définitif, qu’un vrai piège à cons. On l’agitait bien fort, et nous, les petites-mains, les soutiers, les chevilles ouvrières du métier, nous cavalions à perdre haleine, crétins trop naïfs ou trop éreintés pour être clairvoyants.

   Car pour elle, petite marquise rive gauche, vous n’étiez in fine, qu’un Schpountz de plus, dont elle aurait oublié le nom, sitôt sortie de la pièce. Enfin, sauf si demain, vous rencontriez, par hasard, le succès, auquel cas, elle ne serait que miel et louanges. 

   Depuis mon adolescence, je n’avais jamais été autre chose qu’un marginal. Un mec qui, en dépit de ses efforts, ne rentrait dans aucune case.  Des  décennies durant, j’avais été le mouton noir de ma famille, la honte de ma mère, les quolibets ignobles des autres, un putain de fardeau pour tous. Mais j’avais toujours su où était ma voie. Longtemps, j’avais fait face à l’incompréhension, autour de moi. Un artiste dans la famille, ça pue la feignasse, disaient-ils dans mon dos. Je n’en avais cure et avait tracé ma route. Certes, elle n’était pas vraiment celle que j’avais imaginée. Certes, elle était chaotique et cabossée. Mais c’était la mienne, et elle m’allait. Elle avait un sens à mes yeux.  Enfin, j’avais cru sortir la tête de l’eau et voilà qu’on me renvoyait, sans préavis, à mon éternelle condition : un moins que rien.   

   En quelques mois, j’avais bouffé tout ce que j’avais gagné. Une année complète à faire des dossiers, à présenter des projets, à attendre, à être sur tous les fronts. En pure perte.

   J’avais cru passer un cap. Mais une fois encore, les barreaux de l’échelle sociale s’étaient rompus sous mon poids. Et c’est ainsi qu’on trouvait mon livre  dans toutes les librairies, cependant que je faisais un retour triomphal aux minimas sociaux, à la précarité, aux loyers impayés et à la merde en barre.

   Même si j’avais une bonne capacité d’encaissement, le coup était violent, aussi retors qu’inattendu. J’étais sonné, KO debout à tituber sur le ring. J’avais cinquante berges, et plus aucun moyen d’inverser la vapeur. C’était trop tard. Je n’avais plus assez de souffle, plus assez de jus. J’entendais l’arbitre compter, cependant que déjà, mon sang se rependait sur le tapis et qu’instinctivement, je savais que c’était fini. J’allais devoir faire le deuil de moi-même. Le deuil d’ambitions qui s’étaient révélées trop grandes pour un tocard de mon espèce.

   Et c’était ça qu’elle me disait insidieusement, tandis qu’elle me tendait son sourire refait, baignant dans sa logorrhée bien-pensante. Elle se donnait des grands airs,  de bonnes manières, faisant du name-dropping à tout crin. Mais sous ses oripeaux bourgeois, on sentait le plaisir profond qu’elle prenait à vous humilier. Oui, elle voulait que je sache qu’elle prenait son pied, qu’elle défoulait sournoisement tout le mépris que lui revoyaient les grands du métier, qui ne la prenait que pour ce qu’elle était : un simple rouage dans le système. 

   Elle n’était pour rien dans ce qui m’arrivait. Elle n’était pas décisionnaire. On l’avait juste envoyé faire le sale boulot. Et elle le faisait sans états d’âme. En bon soldat. Elle brisait des rêves, mais elle s’en foutait. Les siens s’étaient enfuis avec sa jeunesse, tandis que des rides perfides cisaillaient lentement la belle femme qu’elle avait été, pour nous montrer la vielle saloperie snob et aigrie qu’elle n’allait plus tarder à être.    

Pour l’heure, je me demandais ce que j’allais devenir.

Et il ne pouvait pas y avoir de question plus concrète.

   Je faisais naufrage pour la troisième fois de mon existence. Mon beau navire s’était disloqué, par surprise.  L’eau montait à toute vitesse. Ce n’était plus qu’une question de temps. Il n’y avait rien d’autre à faire, serrer les dents et faire le dos rond en attendant que la tempête se calme.

   J’ai fini par rentrer chez moi et j’ai empoigné ma guitare. Ampli à bloc, j’ai balancé quelques standards du vieux Neil Young, mon héros de toujours. Oui, je faisais comme l’orchestre du Titanic, je jouais jusqu’à ce que la mer m’avale. Une fois pour toute.

 

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Commentaires
L
Ne jamais baisser les bras....
E
Oui mon ami, Vae Victis! Mais dans le fond, nous sommes des bêtes sauvages, libres et affamées, jusqu'au dernier souffle, et crois moi, beaucoup nous envient cette liberté. La réalité, nous la vivons à chaque instant sans être des esclaves, quoique cela nous coûte! STAY FREE!
L
Espérer ? Ah ...... l'espoir c'est fait pour les imbéciles.... j'ai souvent entendu cette phrase... Ta nouvelle est lourde, triste, défaitiste, elle laisse un goût amer.....😥
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