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Laurent Ducastel Ecrivain
2 octobre 2017

LA DETTE IMAGINAIRE

Ce matin, j’ai reçu une lettre émanant d’un organisme de recouvrement, m’annonçant que je leur devais la coquette somme de 700 euros. La lettre, totalement impersonnelle, était rédigée de telle sorte que la menace de représailles devant la justice paraissait imminente. C’était visiblement la dernière chance d’un règlement à l’amiable qu’on me laissait là. Comme je savais ne rien devoir, c’est illico que  j’appelais le numéro pour tirer au clair cette affaire. Une sonnerie puis deux, quelques mesures de musique d’ascenseur avant qu’une voix de femme ne se présente sur un ton assez neutre. Ne doutant pas que ce soit une méprise, je n’étais nullement sur mes gardes. Dans les secondes qui suivirent, mon interlocutrice se chargea de me ramener à la réalité.  A peine avais-je donné mon numéro de référence que voilà qu’à l’autre bout du fil, quasi instantanément, le ton neutre se mua en un jappement de pit-bull.  Fini la cordialité, fini les préliminaires. D’emblée, nous entrions dans le vif du sujet :

-          Vous comptez régler comment ?   

-          C'est-à-dire que je crois que vous faîtes erreur, si je puis me permettre.

-          Comment ça, nous faisons erreur ? Eh bien, payez et faite une réclamation ensuite. Si vous avez raison, nous aviserons.

-          Comprenez-vous,  cette dette ne peut pas m’appartenir puisque je n’aie pas de dettes en cours avec cet organisme, ni avec aucun autre d’ailleurs.

-          Ça, c’est vous qui le dîtes. On me la fait tous les jours, vous savez. Vous êtes bien Laurent Ducastel, né le 6 décembre 1965 ?

-          Oui

-          Alors, je vous confirme que vous êtes bien concerné !!!

-          Mais de quoi parlons-nous ? Je veux dire, pourquoi vous dois-je 700 euros ?

-          Ecoutez ! Ne jouez pas ce petit jeu-là avec moi. Vous savez très bien de quoi nous parlons, rétorqua-t-elle la voix pleine de sous-entendus.

-          Non, ça je vous assure que je n’en aie pas la moindre idée.

-          Vraiment, vous ne voyez pas ?

-          Il me semble que ce serait un bon début de me dire quelle est la nature de cette dette, non ?

-          Vous avez fait un crédit avec une carte en janvier 2007, crédit que vous n’avez JAMAIS remboursé, me lâcha-t-elle le plus sèchement possible. 

Elle se donnait du mal pour me faire bien sentir qu’elle était excédée par les gens de mon espèce, la pire de toute à ses yeux : les mauvais payeurs. Dans sa voix, il y avait quelque chose de ce ton irritant qu’adoptent volontiers les redresseurs de tort. Un genre avec lequel j’avoue que j’avais toujours eu du mal. De tout temps, les ceusses qui se posaient en garants de l’ordre moral, en sauveur de l’humanité avaient ce don imparable de me courir sur les nerfs. Avec l’âge, force est de constater que cela ne s’arrangeait pas.

-          Ça, c’est juste tout bonnement impossible, repris-je m’efforçant de ne pas céder à la tentation de lui rentrer dedans. D’abord, parce que je n’aie jamais eu de carte de crédit de cet organisme.  Ni de celui-là ni d’un autre d’ailleurs. Et ensuite, mon dernier crédit date au bas mot d’une petite vingtaine d’années et il y a belle lurette qu’il est remboursé.

-          Mais bien sûr ! m’assénait-elle martiale, sur un air qui disait sans ambages que mes explications elle s’en foutait comme de l’an 40. Si ce que vous dites est vrai, alors prouvez-le !

-          En quoi devrais-je me justifier ?

-          Il est inscrit ici que vous nous devez de l’argent.

-          Dîtes-moi, chère madame, êtes-vous officier de justice ?

-          Quoi ??? En quoi ça vous regarde-t-il ? S’étouffa-t-elle.

-          En quoi ça me regarde ??? Mais ça change tout ! Je ne vois pas pourquoi je devrais fournir des justificatifs pour des faits que je n’ai pas commis à un quidam quelconque !! 

Là, à l’autre bout du combiné, j’ai su que nous venions de basculer dans une autre phase de notre récente, mais si intense relation. Oui, à présent, elle était comme l’Etna : au bord de l’éruption. Je ne sais pas si c’est mon dossier qui l’a mettait dans cet état, toujours est-il que je sentais bien qu’elle était à la limite de perdre tout contrôle d’elle-même. Comment, moi, j’osais mettre en doute un grand organisme de crédit national ? Vous savez ce genre d’entreprises qui prolifère sur le dos de la misère sociale, en prêtant à des taux usurier aux plus démunis du fric qu’ils se saigneront aux quatre veines pour rembourser. C’était-là, avec la télévision, le plus sûr moyen d’asservissement passif des classes défavorisées. « Tu es le crédit de mes envies » disait la pub. Seulement, la vérité était plus tordue. Pour beaucoup, ce serait surtout le crédit de leurs ennuis. Toute ma vie, j’avais fait en sorte d’éviter ce type de piège à con qui vous passe un nœud coulant autour du cou.

Et voilà qu’aujourd’hui, un samedi matin plein de soleil, une employée de bureau me prenait de haut, avec toute sa morgue et son arrogance. Si son ton menaçant limite gestapiste à la petite semaine faisait probablement son effet sur les plus démunis,  les plus fragiles, elle pouvait toujours se brosser avec un lascar comme moi. Malheureusement, elle ne le comprit pas   

-          Quelconque ??? vous allez voir ce qu’il va vous faire le quidam quelconque !!! vous allez vous retrouvez au tribunal, ça va vous couter beaucoup d’argent, vous allez avoir des frais.

-          Dites-moi, c’est obsessionnel chez vous les questions d’argent ?

-          Vous ferez moins le malin devant le juge.

-          Rien n’est moins sûr, chère madame je n’attends que ça. J’adore aller au tribunal. J’image assez facilement la tête du juge quand il verra que votre dossier, c’est du vent.

-          Mon dossier est solide vous pouvez me croire.

-          Eh bien, justement, je ne vous crois pas. Pas une seule seconde. A moins qu’il s’agisse là d’une nouvelle technique de vente de votre organisme. Comme les gens ne consomment plus assez, vous leur refilez des dettes imaginaires, c’est ça ? c’est peut-être très novateur pour faire du chiffre. Mais je ne pense pas que cela soit suffisant devant la justice.

-          Très bien, puisque vous le prenez comme ça, attendez-vous à recevoir très vite une convocation.

-          Excellent. Une fois la décision en ma faveur prononcée, je vous attaquerai pour faux et usage de faux et je ne doute pas d’obtenir une indemnité au titre du préjudice morale.

-          C’est ce qu’on verra. En attendant, vous nous devez toujours 700 euros, reprit-elle comme un mantra.

 

Je notais cet habile retour à la case départ. S’en suivit une autre et plus longue diatribe, visiblement apprise par cœur et récitée la rage au ventre sur les innombrables frais que j’allais devoir à acquitter. Car oui, j’allais perdre et oui je devais cet argent.

-          Vous croyez que je pourrais avoir Alzheimer sans m’en rendre compte ? La titillais-je de plus belle, ou alors peut-être s’agit-il d’une usurpation d’identité ? ou alors, une homonymie ?

-          Ah !! nous y voilà !! l’homonymie. Y avait longtemps qu’on ne me l’avait pas faite celle-là !! C’est pas moi, c’est un autre. Vous croyez qu’on ne la connait pas la chanson !! En attendant, votre dossier m’indique que vous nous êtes redevable de 700 euros.

-          Eh bien, prouvez-le, lui rétorquais-je goguenard. Envoyez-moi donc une copie du contrat que j’ai soi-disant signé et on en reparlera. 

Que n’avais-je pas fait là ? Quoi, j’exigeais des preuves maintenant ? Quelle outrecuidance !! C’en était trop. Soudain, il y eut dans notre langoureux dialogue de sourd un blanc, un trou abyssal.

-          Monsieur, puisque vous le prenez ainsi, me lâcha-t-elle d’un ton qui sur-jouait la solennité, préparez-vous à avoir affaire avec la justice.

-          Mais chère Madame, j’y suis prêt. Car, il y a quand même un très gros hic dans votre histoire.

-          Qu’est-ce vous allez me sortir encore ? vociféra-t-elle excédée.

-          C’est que, voyez-vous, je suis auteur de profession, écrivain si vous préférez, et donc depuis plus de quinze ans maintenant, comme tous les artistes de ce pays, je ne suis plus du tout éligible au crédit sous quelque forme que ce soit ! Je ne peux même pas me porter caution pour ma fille. Donc, pour ce qui est de contracter un crédit, je le voudrais que je ne le pourrais pas…. 

Mais ça, elle ne l’entendit pas. Car avant même que j’aie pu terminer ma phrase, elle avait raccroché brutalement. J’ai même eu la sensation qu’elle avait balancé le combiné de rage.

En y repensant rétrospectivement, je me suis dit que c’était vraiment dingue que les banques en arrivent à lâcher les chiens sans plus de vérification. C’était vraiment très limite comme procédé. Il est probable que certaines de ces « dettes » avaient une véritable existence, mais la violence, la façon de faire de ces pseudo-recouvrements en disait long sur l’état d’esprit dans lequel évoluaient les rats de bureaux qui dirigeaient ces établissements. Ils étaient aux frontières de la légalité, souvent au-delà même. Mais ils s’en foutaient. C’était de la part des organismes de crédits et des huissiers qui prenaient le relais d’un cynisme ignoble qui ressemblait bien à son époque. 

Ça m’a fait penser que j’aurai bien eu besoin de 700 euros, ce mois-ci.

 

 

 

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Commentaires
T
J'ai vécu ce genre de désagrément avec à l'époque "Télé 2" fournisseur de téléphonie foireux que me certifiait que je n'avais pas réglé une facture. Copie de mon relevé de compte à l'appui, il n'en démordait pas me coupant le téléphone au passage. Cela a duré des semaines jusqu'au moment ou je les ai menacé d'envoyer nos courriers respectables aux médias pour que cela cesse. Je me suis bien sur passé de leurs services et rediriger vers l'opérateur historique.
P
Je crois qu'il y a une faute : à _"Comment ça, nous faisons erreur ? Eh bien, payé et faite une réclamation ensuite. Si vous avez raison, nous aviserons." ben je crois que à payé c'est -ez comme c'est de l'impératif. Voila :-)
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