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Laurent Ducastel Ecrivain
3 avril 2017

ROBERT REDFORD

Norbert s’était endormi à table.

Maintenant, ses bras pendaient le long de la chaise comme des morceaux de bois morts. La télé hurlait des pubs pendant que les gosses foutaient un bordel monstre à l’autre bout de la pièce. Lydia les regardait faire et elle sentait une immense tristesse intérieure l’envahir. Elle savait qu’elle aurait beau brailler, rien n’y ferait. Ses enfants n’obéissaient vraiment qu’à leur père. Lequel justement dormait du sommeil du juste alors qu’il avait à peine fini de dîner . Depuis quelque temps, il n’attendait même plus d’être devant la télé pour sombrer dans les bras de Morphée. Non, sitôt le repas avalé, il s’affalait inexorablement sur sa chaise. Et plus rien, désormais, ne pourrait l’atteindre. Enfin, jusqu’au moment où, inévitablement, il finissait par tomber, entraîné par son propre poids. Alors en jurant tous les diables, il se ramassait, se traînait jusqu’au lit, où aussi sec, il se rendormait. Lydia s’est dit que ce n’était pas encore ce soir qu’elle aurait droit au peu d’amour qu’elle réclamait et dont tout le monde dans cette maison, semblait se foutre comme de sa première chemise.

Bien des fois, elle avait songé à prendre un amant. Un homme qui lui ferait la cour, lui offrirait des fleurs et penserait à elle. Mais où trouver cet homme providentiel qui saurait lui faire retrouver les réalités du plaisir charnel ? Car malgré tout, elle aimait encore le reflet que lui renvoyait le miroir. Et puis pourquoi une femme de quarante ans n’aurait-elle pas le droit d’avoir une vie sexuelle épanouie et attrayante, sous prétexte qu’elle avait eu trois enfants ? Pourtant, Norbert avait été un bon amant avant d’être un mari ordinaire. Ils en avaient passé des nuits à faire des folies de leur corps. Bon dieu ! Oui, ils en avaient connu des grands moments ensemble. Mais voilà, tout cela avait disparu et n’était, à présent, plus rien d’autre que des vieux souvenirs qui croupissaient, on ne sait où. Si seulement, elle pouvait leur mettre la main dessus ! Les vivre une fois encore ! Renouer avec la folie qui leur courait dans les veines. Norbert n’était alors qu’un chien fou qui prenait l’existence à bras le corps. Leurs six premiers mois de vie commune avaient été fantastiques. Six mois de bonheur pour quinze ans d’errance. Lydia se disait que c’était foutrement cher payé. Six mois de folie pour quinze années d’habitudes, le jeu n’en valait pas la chandelle.

Elle ferma les yeux un moment et supplia le ciel de lui venir en aide. Mais qui pouvait-il le ciel, si sa vie lui était devenue insupportable ? Que restait-il de ses espérances d’adolescente ? Elle qui avait été une élève brillante. Elle qui avait trimé dur pour avoir le bac. Elle qui avait de l’ambition et voulait aller droit vers les sommets. Les sommets s’étaient arrêtés quand Norbert avait débarqué dans sa vie. De fil en aiguille, elle s’était retrouvée quinze ans plus tard, pieds et poings liés à élever des mômes qui finalement ne la respectaient pas.

À présent, la télé diffusait un vieux film avec Robert Redford. C’est un homme comme lui dont j’aurais besoin, pensait-elle, en s’allumant une cigarette. Elle se laissa tomber dans ce canapé qu’il lui faisait horreur depuis le premier jour, mais qui plaisait tant à son époux. Sa tête était en ébullition. Les gamins braillaient de plus belle tandis que Norbert, lui, ronflait toujours planté sur sa chaise. Lydia sentit qu’elle arrivait au point de saturation. Elle ne pouvait plus aller au-delà. Elle écrasa sa clope dans le cendrier, se leva et enfila son imper rouge délavé.

 -          Où tu vas m’man ? Demanda son aîné.   

 -          J’en sais rien, répondit-elle d’une voix chargée de lassitude.

 -          Bah, qu’est-ce qu’on va dire à Papa ? 

 -          Tu n’as qu’à lui dire que je suis partie rejoindre Robert Redford.            

 

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Commentaires
L
C'est le lot de bcp de couples...?? Rester célibataire évite cette lassitude 😁
T
C'est malheureusement le quotidien de beaucoup de couples qui n'ont plus ou qui n'ont jamais rien eu à se dire!
A
ça peut effectivement être une solution. Mais souvent, c'est tout connement la vie qui sépare les gens. On n'évolue pas de la même façon et un matin tu te retrouves mariés avec quelqu'un avec qui tu n'as plus grand-chose en commun.
J
L'habitude est la mort du couple, vivre chacun chez soi, voilà la solution......
C
Un ras-le-bol commun a tant de femmes...ça va te faire sourire mais ça me fait penser au roman de Fréderique Hébrard "Vas-y maman".Cette femme réduite à l'état de bonniche par toute sa smala, qui un jour craque , prends les clés de sa bagnole et roule vers le sud. Là elle rencontre un jeune homme...On a toutes besoin d'être respectée en tant que femme et pas seulement mère, épouse, bonne à tout faire, cuisinière trois étoiles, intendante etc. Rappelez-vous en les hommes! ;o)<br /> <br /> Chris
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