Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Laurent Ducastel Ecrivain
18 avril 2017

UN PUR INSTANT DE GRACE

Ses yeux verts avaient encore plongé en moi comme des lames acérées. Par surprise. J’avoue ne pas l’avoir reconnu de suite. Mais mon âme, mon corps entier avait frissonné, à l’instinct. Dans ma poitrine, mon cœur s’était serré, ma respiration bloquée avant même que j’aie eu le temps de comprendre ce qui m’arrivait. ELLE était là. A moins de cinq mètres. Je n’osais pas y croire, bien qu’il n’y ait pas le moindre doute possible. Oui, c’était bien elle : Nina, la seule, l’unique. Celle qui avait carbonisé mon adolescence en un instant, entre deux cours, un jour de décembre 1980.

Aujourd’hui, avec le recul, cela me semblait toujours aussi dingue. Il ne lui avait fallu qu’un seul sourire, pas un de plus, pour me foudroyer sur place. Littéralement. L’ado en perdition que j’étais alors, en était resté K.O debout, titubant sous la violence du choc.

Trente ans plus tard, mon corps n’avait rien oublié. D’ailleurs, comment aurait-il pu en être autrement ? Elle avait ce don, cette faculté incroyable de me bouleverser, au-delà de l’entendement. Bien au-delà même… Au point que je perdais complètement les pédales sitôt que mon regard se plongeait dans la verte candeur du sien. J’en faisais trop et trop mal. Et ma déjà fort déplorable réputation, relayée par quelques indélicates, avait fait le reste. Après avoir allumé l’incendie, Nina avait regardé le vent dévaster la plaine. Sans bouger. Fin de l’histoire.

Désormais, elle incarnerait le chagrin d’amour définitif, le maître étalon de mes futurs ratages, un vide, un manque, un trou béant au fond de moi. Un trou que rien, ni personne ne comblerait, alors que j’accumulerais les conneries, les errances, les erreurs, seul comme un con avec cet amour trop grand pour moi sur les bras. Et évidemment, des années durant, toutes les femmes qui passeraient dans ma vie se mesureraient d’une façon ou d’une autre au fantôme de Nina.

    Peu à peu, avec le temps, j’avais fini par tourner la page. C’était comme un mur qui s’effritait avec les saisons qui passent.  Les années étaient à l’œuvre, des pans entiers dégringolaient et un jour, il n’était plus resté qu’un vestige. Un vestige bien vivace quand même. Comment aurais-je pu oublier, cette journée d’été où nous étions tous allés à la piscine ? Nina déambulait au bord du bassin de cette démarche suave et chaloupée qui n’appartenait qu’à elle. Au moment de partir, elle était sortie du bain juste devant moi. L’eau ruisselait sur sa peau tendue, son maillot de bain semblait moulé sur elle, ne laissant rien ignorer de son corps de déesse. J’étais si bouleversé que mes sens en bâtaient la chamade, m’abandonnant lâchement sur place, à la dérive sous le coup l’émotion. Tant bien que mal, je cherchai mes marques pour tenter de sauver les apparences devant les copains. J’étais resté de longues secondes dans le bain, incapable de bouger, sachant instinctivement que je touchais des cieux que je ne reverrai pas de sitôt. C’était un pur moment de grâce. Un instant d’éternité, fugace et éphémère, mais il vibrait encore dans chacune de mes cellules. 

          Maintenant, elle était là, surgit de nulle part comme un bateau fantôme après la tempête, avec ses quarante-deux berges, ces rides malignes qui creusaient son sourire. Contrairement à d'autres, elle n’avait pas grossi. Ses joues s’étaient creusées, sa douceur naturelle, presque indolente, semblait s’être évaporée au profit d’un sourire fatigué d’avoir trop illuminé un visage qui recélait, à présent, un je ne sais quoi de dureté. Peut-être après tout que la vie l’avait cognée durement, elle-aussi ?

J’hésitai un court instant à aller la voir. Mais, instantanément, je me ravisai. Était-ce la peur d’être maladroit une fois encore, la peur que les mots me manquent ou pire qu’ils me trahissent qui me retint ? De toute façon, qu’aurais-je bien pu lui dire, à présent que  le temps avait fait son office ? Rien, ou alors des conneries, des banalités d’usage. Ni elle, ni moi ne méritions ça.

En vérité, j’ai senti qu’il était trop tard. Définitivement. C’est l’évidence même. Il suffisait de nous voir pour comprendre. Il n’y avait plus rien à sauver. Elle n’était plus la Nina que j’avais aimée, et je n’étais plus depuis longtemps cet ado paumé qui avait ouvert les portes en grand à cette fille qui n’était pas pour lui. Nina, sans le vouloir, m’avait appris la distance. Une distance qu’aucune autre n’était parvenue à effacer totalement depuis. Ou alors rarement, par hasard ou inadvertance.

         Nina n’a rien remarqué, elle a passé son chemin. Je l’ai regardé s’éloigner, emportant dans son sillage une part de mon histoire. Et soudain, je me suis senti léger. À nouveau. 

Publicité
Publicité
Commentaires
A
beau blog. un plaisir de venir flâner sur vos pages. une découverte et un enchantement.N'hésitez pas à venir visiter mon blog en lien ici : http://mondefantasia.over-blog.com/<br /> <br /> au plaisir
J
C'est la magie des souvenirs auxquels il ne sert à rien de s'attacher. Que de désillusions quand, par hasard, on rencontre le "coup de coeur" passé que l'on croyait éternel !!
Publicité