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Laurent Ducastel Ecrivain
6 mars 2017

LA VIE A PLEINES DENTS

J’allais me mettre à l’ordinateur quand elle a débarqué, en ce début d’après-midi pluvieux et hivernal.

J’avais des articles à rendre et comme d’habitude, j’étais très sérieusement à la bourre. J’avais mangé sur le pouce et étais en train de m’abreuver d’un bon vieux Iggy Pop ( Wild America extrait d’Américan Caesar ), histoire de faire grimper ma tension artérielle. Ce n’est un secret pour personne, pour écrire, j’ai besoin d’électricité. Le rock et la furie saturée qui l’escorte m’aident étrangement à me concentrer. Donc, j’en étais à relire mes notes quand elle m’a fait la surprise d’une visite. Habituellement, elle passait avec Henry, son mari, un type gentil qui tenait absolument à ce que je lui apprenne la guitare. Or, il faut bien l’avouer, j’en jouais comme un pied et aurait été bien en peine de lui apprendre quoi que ce soit. Néanmoins, il s’était pris d’affection pour moi et passait régulièrement me montrer les nouvelles guitares qu’il se payait à la chaine. Eh oui, il avait un très bon job dans l’informatique qui lui permettait à peu près n’importe quelle folie. Françoise, elle, était cadre dans une boite de Com. Ensemble, ils avaient l’air parfaitement heureux. Très régulièrement, ils m’invitaient et j’aimais beaucoup aller manger chez eux. Surtout après le quinze du mois, quand mon frigo criait famine.

Lentement, année après année, la précarité gagnait du terrain. J’avais commencé par perdre mon boulot principal dans une maison de disque. Sacrifié comme tant d’autres sur l’autel du profit. J’avais alors multiplié les piges. Mais depuis un temps, mes articles dans la presse rock n’y suffisaient plus. D'ailleurs, les revues fermaient les unes derrière les autres, tandis que je prenais de l’âge et que des plus jeunes prenaient les meilleures places. Après tout, c’était dans l’ordre des choses, se lamenter ou ressasser sa colère, ne servait à rien. Au fil des mois, j’étais donc de plus en plus chômeur et j’avais beau ne pas baisser la garde, être prêt à me battre bec et ongle, je m’enfonçais toujours plus loin dans le dégoût et la détresse. Je luttais des nuits entières à hurler comme un damné pour ne pas sombrer. Il ne restait que mes mots et les quelques lambeaux d’espoir qui allaient avec pour me tenir debout. Je vous accorde que ce n’était pas grand-chose. Néanmoins, je m’y accrochais ferme n’ayant pas vraiment d’autres alternatives et aucune affinité avec le suicide. Un jour, froidement, je m’étais mis le canon d’un 357 magnum dans la bouche. Je devinais les balles dans leur logement, le barillet prêt à tourner, prêt à me propulser dans le noir. J’étais resté un long, long moment, là sans rien faire, à genoux sur la moquette affreuse de la chambre. Puis comme une putain d’évidence, j’avais choisi la vie. Depuis, je savais à quoi m’en tenir et n’avais jamais remis ce choix en question.    

        Donc j’allais me mettre au travail quand elle est entrée sans sonner et sans donner plus d’explication. De toute façon, avec la musique, je n’aurais rien entendu. Elle a jeté son sac dans l’entrée et m’a tendu un sourire. Le même qu’elle me tendait en douce parfois quand Henry avait son compte d’alcool, d’informatique et de rêves avortés. Ce n’était pas la Françoise habituelle. Non, c’était une Françoise élégante qui revenait du travail et avait décidé de faire une halte chez moi. Je poussais un peu le bordel qui régnait en maître sur la table basse et lui proposait immédiatement un café cependant qu’elle coupait la chique à Iggy. Françoise n’aimait pas le hard-rock et préférait sans vergogne le trip-hop et Portishead en particulier. Enfin, elle dénicha le premier album de Massive Attack dans ma discothèque et après avoir ôté sa veste, elle se cala dans le canapé en s’allumant une cigarette. Ses jambes à peine croisées laissaient entrevoir subrepticement le haut de ses cuisses blanches et c’eut été un péché que de regarder ailleurs. En bon garçon, je tentais quand même de meubler en sortant quelques banalités de rigueur, mais elle ne fut pas dupe. Nous étions au bord de l’abîme et c’était très précisément ce qu’elle voulait. Sans un mot, d’un geste lent et infini, elle se leva, se dressa contre moi et passa sa main dans mes cheveux en pétard. Je pensais à Henry. C’était un type bien et il ne méritait pas ça. Mais j’étais un salopard et Françoise le savait.

       Elle a très doucement dégrafé son chemisier rose. La peau blanche et lisse de son ventre tendu est apparue peu à peu, haletante. Les effluves de son parfum finissaient d’embraser l’atmosphère. J’ai fait glisser mes doigts sous son soutien-gorge,  dégageant ses petits seins roses avant de les avaler à pleine bouche et de mettre en pièce tout ce qui obstruait la progression du plaisir. Puis elle a glissé sur le canapé, couchée sur le ventre, les reins cambrés, fesses offertes, après que je sois venu à bout de sa petite culotte en dentelle mauve. Là, sans une once de culpabilité, j’ai pris tout le plaisir qu’elle me tendait. 

Vers cinq heures, elle se rhabilla sommairement, m’embrassa sur le front et reprit le cours normal de sa vie comme si de rien n’était, comme s’il n’était rien arrivé. Heureusement, elle prit soin d’oublier sa pince à cheveux et c’était là une preuve bien tangible que je n’avais pas rêvé, que ce n’était pas un mirage. Je restais sonné bien longtemps après qu’elle eut quitté la pièce. En partant, elle avait laissé un vide immense derrière elle. Comme si d’un coup, les steppes d’Asie centrale avaient déballé leurs solitudes dans mon salon. J’ai tenté de remettre Iggy dans le lecteur C.D , mais rien n’y faisait. Il s’ébrouait dans le vide. Dans le silence de la nuit qui s’avançait,  allongé sur le canapé, je tentais encore de garder le contact avec l’ombre de sa présence. Je vais vous dire, mes articles, ma situation désastreuse et même le reste du monde pouvaient bien aller se faire foutre. Dans la pénombre, quelque part en moi, la vie souriait à pleines dents.

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Commentaires
F
toujours aussi genial
M
L'oubli de la barrette à cheveux, du foulard ou le bijou qui tombe, c'est le détail pour obliger l'autre à générer le souvenir au cas où il aurait l'idée d'oublier :)
J
Coucou, c tjrs ton histoire que tu écris ? ou un petit peu ? Si c toi, tu as bcp "dégusté" après W... <br /> <br /> On a vraiment l'impression d'y être, bravo !!!
T
bravo, le sens du détail c'est bluffant, on est limite moite de cet instant offert en passant par hasard.. on en redemanderait même encore .
L
Je souris...<br /> Vous avez tout dit en fait, il n'y a rien à rajouter, à part remercier Françoise...
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