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Laurent Ducastel Ecrivain
28 novembre 2016

DOGME ET SODOMIE

         Je dois confesser, à mon corps défendant, que je n’aie jamais eu l’âme partisane. Les discours, les pensées formatées souvent uniques d’ailleurs, les lendemains qui chantent, les hymnes à la con, les « debout camarades », tout ça, il avait été clair depuis le début que ce n’était pas pour moi. Cependant, par une espèce de bizarrerie comportementale, il me faut avouer que de tout temps, j’ai été un mec assez politisé. Et ce, en dépit du fait que le côté dogmatique des partis m’avait toujours puissamment rebuté. C’est donc, en quelque sorte, en franc-tireur, pour ne pas dire en amateur, que je pratiquais la politique.  Adolescent, tout à mes rêveries idéalistes et révolutionnaires, j’avais cru dans ma grande naïveté que le mouvement punk allait changer le monde, qu’il serait enfin plus juste, plus humain et qu’on allait immoler les derniers tenants de l’ordre moral catho ultra-réactionnaire sur le parvis de Notre Dame.

Malheureusement, la voix des Clash ne porta pas au-delà de leurs magnifiques chansons et les généreux idéaux humanistes des années soixante allèrent s’abîmer dans le fric, le pouvoir, bradés par le marketing triomphant. Finalement, après une longue période de flottement idéologique, les années 2000 avaient vu, assez insidieusement, une résurgence pour le moins inattendue de la religion, du nationalisme, du populisme assumé et de tout un tas de saines valeurs prônées en leur temps par l’indicible Philippe Pétain, le sauveur d’une France aussi éternelle que nauséabonde, une France de sinistre mémoire qui ne s’encombrait plus désormais des fantômes du passé. La montée en puissance d’une extrême droite enfin décomplexée, fière de son OPA réussie sur l’auberge espagnole UMP, unie comme jamais derrière son nouveau champion me poussa, par peur il est vrai, dans les bras du militantisme de base.

 

         La campagne présidentielle qui s’annonçait allait donc être capitale pour tous les gens comme moi qui pensions que la France ne se résumait pas à une poignée de blancs aisés, de préférence catholiques et conservateurs, farouches défenseurs des idéaux ultra-libéraux qui n’étaient, in fine, une fois le vernis du politiquement correct décapé, rien d’autre qu’une forme de néo-esclavagisme bon teint, propre sur lui. Un néo-esclavagisme d’autant plus malin et roublard, qu’il n’hésitait plus à piller, à s’approprier sans vergogne l’héritage de la gauche cependant qu’il prônait une France d’exclusion et de privilèges, fussent-ils génétiques. Le tout en osant prétendre que c’était ce que le peuple désirait le plus ardemment. Putain, quelle ironie, pour ne pas dire quel cynisme ! Les pauvres pourront gagner plus s’ils le souhaitent, en travaillant davantage, serait même un des slogans de leur campagne. Ah ! Que de joie en perspective en cas de victoire dans les foyers précarisés. Juste pour gagner quelques malheureux Euros de plus, la France défavorisée allait enfin pouvoir frénétiquement s’ouvrir les tripes au boulot pour engraisser des vieux connards grabataires pleins aux as. Cette fois, c’était bien promis, c’était dans le programme, on ne leur laisserait même pas les miettes de la croissance ! Qu’ils aillent se faire foutre les pauvres ! Voilà des siècles qu’ils nous faisaient chier ! L’avenir appartenait désormais aux retraités qui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, se moquaient comme d’une guigne des générations suivantes. La preuve : on hypothéquait la connaissance, le savoir, le futur en liquidant les crédits déjà faiblards de l’éducation nationale pour les octroyer à la police. La France de demain serait donc une France de vieux parkinsoniens décérébrés où des milliers de flics en uniforme feraient régner à coups de triques, l’ordre et la loi du plus fort, celle des nantis du système. Alléluia ! Les sondages étaient excellents et dans les hautes sphères, à n’en pas douter, on devait se taper sur le bide de voir de pareils crétins, des hordes de moutons, vidés, vaincus, anesthésiés par la télé et la propagande forcenée qu’elle matraquait à outrance, sans même chercher à le nier.

 

  Comme bien d’autres, je l’avoue sans honte, j’avais la trouille. Néanmoins, je ne voulais pas rester les bras croisés à attendre que le ciel néo-libéral nous tombe dessus. Juste à mon niveau, je voulais m’impliquer. C’était en quelque sorte, une question de conscience, un réflexe citoyen. Voilà donc comment, je me suis laissé embringuer dans le monde des réunions politiques, de gauche évidemment. Quoi de plus normal après tout ? Je suis un homme de gauche. Un pur produit de la génération hippie où l’éducation laïque était axée sur le savoir, la tolérance et le respect de l’autre. Cependant, dès les premières réunions, j’ai compris qu’eux et moi, nous n’étions pas vraiment sur la même longueur d’onde. Pas sur le fond évidemment, mais plutôt sur la forme. En effet, leur vision de la gauche, celle qui visiblement dominait dans le parti, semblait approximativement s’être arrêtée en 1980. Tout juste avait-elle, sur certains points précis, mutée un brin vers la droite . Tous ces gens étaient bien gentils, pleins de bonnes volontés, mais bordel, ils n’avaient pas l’ombre d’une idée nouvelle. Sous des emballages plus ou moins modernes, ils nous rejouaient toujours et encore la bonne vieille lutte des classes et les séculaires rengaines post soixante-huitardes. Celles-là mêmes que la gauche caviar s’était empressée de solder, une fois le pouvoir acquis. Dans mon coin, j’enrageais grave. La droite dure s’apprêtait à faire ce dont elle rêvait depuis quarante ans, c'est-à-dire mettre en pièce les acquis sociaux et foutre le feu aux valeurs républicaines qui nous étaient si chères et nous, la gauche, en comité de section, nous ressassions à loisir des banalités d’usage, tandis que les plus anciens se sentaient prêts à ressortir les drapeaux rouges et à égorger tous ceux qui gagnaient plus de quatre mille euros mensuels alors même qu’ils faisaient, pour la plupart, partie du lot !

 

Mais le meilleur, ce fut quand ils tentèrent de m’expliquer la précarité, à moi qui revenais à peine à la surface, moi qui sortais de cinq ans d’enfer aux minima sociaux. Ça, ils y mettaient du cœur pour masquer le vide sidéral de leur propos. Mais comment leur faire comprendre qu’ils avaient finalement une vision très TF1 de la misère ? Une vision convenue, simpliste et loin du compte. Pour autant, pouvait-on leur en vouloir ? Seulement, sur le coup, j’avoue que je ne sus pas vraiment s’il fallait en rire, en pleurer ou leur rentrer dans le lard. Il aurait fallu être inventif, pertinent, ne pas avoir peur du système. Mais la vérité profonde, c’est qu’ils ne désiraient pas le changement. Enfin pas vraiment. Tout ce qu’ils voulaient, c’était camper sur leur position, maintenir une espèce de statu quo, alors même que la maison brûlait et que très bientôt, il ne resterait que des cendres et nos yeux pour pleurer.

 

La réunion terminée, ils remontèrent dans leurs puissantes berlines et s’en retournèrent continuer la révolution chez eux, tandis que je rentrais à pied sous la pluie battante de décembre dans mon chez-moi sans chauffage. Soyons clairs, je n’ai vraiment rien d’un enfant de chœur, ni d’un idéaliste boutonneux. Je savais parfaitement à quoi m’en tenir. Je savais que quelle que soit l’issue du scrutin, nous, les moins que rien, les exclus, les marginaux, nous l’aurions dans le cul encore une fois, comme toujours. Néanmoins, j’aurais aimé rentrer avec un peu d’espoir au cœur. C’était quand même pas trop demandé, non ? C’est vrai, de temps à autre, un peu d’espoir, ça ne fait pas de mal. Surtout, s’il est de gauche.

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Commentaires
F
je pense que tu as bien résumé! dogme et sodomie je penche plus pour sodomie tout en douceur et qui en final nous fera tous très mal!!! merci laurent<br /> <br /> Fadi
F
Merci de crier tout haut...<br /> <br /> <br /> <br /> En effet nous demandons juste à vivre décemment. Mais nous ne recoltons que la misère.<br /> <br /> Un cri de colère de désespoir que beaucoup partage.<br /> <br /> <br /> <br /> françoise
A
Cher monsieur je crois qu'avec vos mots, durs et crus, vous résumez parfaitement la situation. La gauche va mal et nous sentons nos valeurs nous échapper. Tout comme vous, je dois dire que l'avenir me fait vraiment peur. Encore merci pour cette petite histoire sans concession. Adrien.
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