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Laurent Ducastel Ecrivain
12 juin 2017

MAUVAISE PASSE

Elle était partie un matin, presque sans dire un mot, sans une explication valable. Elle voulait faire le point, avait-elle dit avant d’ajouter qu’elle voulait éprouver notre amour. J’étais resté stoïque, à boire mon café sans même chercher à la retenir. C’eut été peine perdue. Je savais parfaitement à quoi m’en tenir : quand les femmes vous disent ce genre de truc, c’est que la situation est en général au stade du coma dépassé. En fait, en langage de fille, faire le point signifie que notre heure a vécu et éprouver notre amour veut dire qu’elle cherche déjà un successeur.

     Lizzy avait attrapé sa valise cabossée, avait jeté ses fringues dedans, surtout les plus sexy d’ailleurs, avant de prendre le large, en arborant une mine consternée que je ne lui avais jamais vue auparavant. Peut-être aurais-je dû lui courir après dans l’escalier, avoir une franche engueulade ou ce genre de chose ? Seulement  voilà, je n’étais plus ce genre de gars. J’avais passé l’âge et mon crédit d’engueulades était épuisé. En vieillissant, je devenais fataliste, ce qui ne signifiait pas que je me résignais. J’essayais juste de prendre de la hauteur, probablement pour ne plus déguster autant qu’auparavant.  Lizzy, au contraire, avait tendance à penser qu’une petite dispute bien sentie mettait du piment dans la vie de couple. Aussi à intervalles réguliers, elle pétait un câble, mettait la baraque sans dessus dessous et me faisait sortir de mes gonds avec une dextérité, une précision remarquable. Elle claquait ensuite la porte en jurant grand dieu que je pouvais aller au diable avec mes foutus bouquins, que je n’étais qu’un connard fauché, invivable et égoïste, ce qui sur le fond n’était pas tout à fait faux. Invariablement, je lui rétorquais qu’elle n’était qu’une emmerdeuse, une fille de famille pourrie gâtée tout juste bonne à faire des colères. J’ajoutais narquois, car je savais que ça la foutrait en boule, qu’elle ne comprenait rien à la littérature et qu’elle ferait mieux d’épouser un comptable, ce qui au passage ne manquerait pas de ravir sa revêche de mère. Dans ces moments-là, je me demandais toujours ce que je pouvais bien lui trouver. C’est vrai, Lizzy se situait parfois si loin de moi. A l’extrême opposé même. Elle aimait le foot, la bouffe japonaise, les petites voitures et faire les boutiques le samedi quand elles étaient bondées. Lizzy était le style de fille qu’avait toujours envie de baiser alors que j’étais en plein boulot, à me démener avec un chapitre difficile. Lizzy détestait mes groupes préférés et spécialement Iggy Pop, cependant qu’elle vouait une passion singulière pour les tristounets chichiteux de la nouvelle chanson française.

        Seulement cela mis à part, cette fille avait dans ces veines translucides, une force de vivre hors du commun. Une force de vivre qui rayonnait et irradiait chaque instant passé à ses côtés. J’en arrivais même à me demander comment un corps aussi frêle pouvait receler une telle force. Dès le départ, j’avais senti que j’allais marcher sur des braises avec elle, mais il était devenu très vite évident que je ne désirais rien d’autre. Notre rencontre avait été, il faut bien le dire des plus banales. Je l’avais croisé dans l’escalier alors que Mademoiselle ouvrait sa boite aux lettres. Elle était magnifique et en était parfaitement consciente. Il émanait d’elle une présence, une aura dont elle jouait, je l’apprendrai par la suite, avec un art consommé. Nos regards s’étaient croisés et elle m’avait souri. Un sourire qui illuminait son visage, un sourire qui emportait tout sur son passage. Il ne lui avait pas fallu quarante secondes pour me terrasser. Encore une autre poignée de secondes et j’étais déjà prêt à la suivre au bout du monde, elle et son regard bleu profond, sa peau diaphane et ses cheveux de jais coupés courts. Brutalement, tous les soirs à six heures tapantes, j’avais une irrésistible envie d’aller moi aussi relever  mon courrier. Bientôt, involontairement, mes journées s’étaient mises à tourner autour de ce court instant. Il ne me fallut pas une semaine pour apprendre qu’elle s’appelait Élisabeth, avait trente-quatre ans, pas d’enfant et qu’elle venait de mettre un terme à une relation de neuf années. Huit jours de plus et je l’invitais à dîner. Deux mois encore et nous vivions ensembles puis une année entière s’écoula avant qu’elle ne claque la porte pour aller faire le point et éprouver notre amour chez sa mère.

         Dans les premiers jours, elle m’appela à plusieurs reprises pour tenter, soi-disant, de me rassurer. En fait argumentait-elle, nous n’étions pas fautifs. C’est juste que nous nous étions peut-être mis en ménage trop vite. Elle n’arrivait pas à trouver la distance dans notre couple. J’étais si différent des hommes qu’elles avaient connus jusqu’alors. Et il est vrai que pour faire plus différent, il aurait fallu se lever de bonne heure. Je n’étais pas issu de la petite bourgeoisie banlieusarde, je n’avais guère fait d’étude, j’avais un long passif de marginal qui tétanisait sa mère et aucun plan de carrière à l’horizon, pas plus que d’actions ou de fric à la banque. Rien de cela. Aucun des stigmates de la réussite. Cette réussite sociale si chère au cœur de sa mère, comme à tous ces petits parvenus de banlieue. Cette réussite, je n’avais fait que l’effleurer, il y a longtemps dans une autre vie. Depuis, je me traînais un karma de damné, un karma que je n’aurais souhaité à personne. Seulement, j’étais en phase avec moi-même. Mon existence était certes misérable pour ne pas dire merdique, mais à mes yeux, elle était cohérente, elle avait un sens : J’étais enfin devenu ce à quoi j’aspirais : un écrivain. Un écrivain ni riche, ni célèbre. Mais au fond, je m’en foutais. Je l’acceptais tel que ça venait même quand ce n’était pas facile. Et c’était assez souvent le cas. Je n’avais pas le choix. Au fond, je ne savais rien faire d’autre. Sans cela, la vie avait nettement moins d’intérêt. J’étais né un crayon à la main et c’est sûrement ainsi que j’allais crever.

        Dès le départ de Lizzy, j’avais entrepris un ménage en grand. Je voulais expurger toute trace de son passage. Seulement, rien n’y faisait. Cette garce était partout. Son absence et le silence qui en découlait me collaient au corps. Cependant, je m’accrochais, car je n’avais aucunement l’intention de me laisser abattre. Mon inclination naturelle pour la dépression avait failli avoir ma peau plus d’une fois aussi avais-je, cette fois, décidé d’emblée de lui tordre le cou. Ce n’était pas la première fois que je me faisais larguer. Je me donnais quinze jours pour remonter à la surface, peut-être un peu plus. Bientôt pourtant, je renouais en grande pompe avec ma grande copine la déprime carabinée et tous les vieux démons qui l’accompagnent. Comme de nombreux écrivains, je suppose, j’étais plutôt un solitaire de nature. Seulement, il y avait quand même des limites et mes quatre murs me devenaient insupportables. Je sortais tous les soirs, traînant dans le Paris nocturne, le plus souvent sur le pavé de ce dix-huitième arrondissement qui m’avait vu naître, seul ou parfois en compagnie d’une bande de furieux à la recherche du chaos qui m’anéantirait un moment. J’étais de retour dans les bas-fonds. J’espérais qu’en jouant encore avec le feu, traquant l’adrénaline, la vie s’activerait et qu’elle carboniserait le souvenir de Lizzy par la même occasion. De nouveau en solo, je renouais de bon cœur avec mes noirs penchants. Des abîmes glauques, souterrains des beaux quartiers où des corps tendus s’offraient au premier venu, lèvres agiles et rapides, sans étreintes réelles, du sexe ultime noyé dans la coke ou le speed. Et tout au bout de la nuit, dans le magnifique matin ensoleillé qui drapait les rues de la capitale d’une couleur irréelle, tout au bout la nuit, il n’y avait que le vide et la solitude. Une solitude plus prégnante, plus abyssale encore. Une solitude dégueulasse, chargée des relents de la nuit et de son cortège de remords ignobles. Je dormais peu, buvais trop, mangeais n’importe quoi à n’importe quelle heure, n’allumais la télé que de temps à autre pour voir les infos. De ce côté-là pas vraiment de changement : Le monde était en grande forme, les intégristes du dollar et des religions révélées se tiraient la bourre pour la domination planétaire, cependant que la mort tournait à plein régime. C’était une bien curieuse équation : plus il y avait d’êtres humains, plus l’humanité perdait du terrain. Oui, décidément, nous traversions vraiment une période très étrange. J’avais de plus en plus l’impression d’être le spectateur de ma propre vie. Mon éditeur était en train de déposer le bilan dans mon dos, je n’aurai pas de quoi finir le mois et pourtant tout cela ne m’atteignait guère. Je me sentais en bout de course comme rarement. Las de cette existence. Las de moi, las des hommes et toutes leurs merdes. Je ne voulais plus rien d’autre que m’éreinter, éreinter mon corps pour couler une bonne fois pour toute. Je voulais abdiquer. Fondu au noir et bonsoir M’sieur Dame ! 

      Je n’étais pas rentré à l’appart depuis deux jours. Deux jours d’errances et d’ivrogneries. Deux jours en apnée. Je déconnais à plein tube, j’en étais conscient mais peu importait, c’était un état irrépressible, une force intérieure qui me poussait, malgré moi, vers le noir. Les années qui passaient ne changeaient pas fondamentalement la donne. La volonté du chaos s’était même fait plus pugnace, d’autant plus violente que l’espoir, LE grand Espoir qui nous tenait la tripe s’était salement corrompu au fil des gamelles successives de nos amours foirés. J’avais pris une longue douche, avalé une aspirine avant de m’affaler dans le fauteuil face à la fenêtre. J’étais K.O et c’était plutôt une bonne nouvelle. Je laissais doucement le sommeil venir avant de rejoindre le lit quand soudain, deux mains se sont posées sur mes yeux.  

-          Devine qui est là ? A fait la voix dans mon dos.

       Elle n’aurait pas eu besoin de parler, son parfum aurait suffi, comme une signature indélébile dans ma mémoire. Qui est là ? Qui d’autre pouvait se tenir là, radieuse avec cet éclat dans le regard ? Elle me prenait encore par surprise, je ne l’avais même pas entendu rentrer. Je lui ai tendu un reste de sourire, en me redressant tant bien que mal pour sauver au moins les apparences alors que je me sentais tout à fait minable. Au pied de la table trônait sa valise cabossée et j’ai su qu’elle avait fini de faire le point et d’éprouver notre amour. Je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait mais cela n’avait aucune importance. Sans plus d’explication que pour son départ, elle a ôté le tee-shirt bleu qui lui moulait les seins, a fait glisser son jeans et sa culotte avant de se coller contre moi. Puis elle a noué ses bras autour de mon cou  et je n’ai posé aucune question cependant qu’elle embrasait le silence de la chambre. J’ai senti le souffle de la vie qui battait en elle envahir mon âme. C’était comme embrasser le soleil à pleine bouche. Le ciel se dégageait, un vent d’altitude soufflait à nouveau et j’eus l’impression de renouer avec les sommets.  L’enfer qui m’habitait venait de claquer la porte. Rien ni personne n’était de taille à lutter. Lizzy était de retour, la vie allait pouvoir reprendre. 

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Commentaires
A
C'est vrai que les femmes ont toujours joué un très grand rôle dans ma vie. Forcément cela devait rejaillir dans mon travail.
M
C'est curieux, même si je vous suis depuis peu, cette oscillation permanente entre la noirceur de l'âme du personnage et la lumière de l'amour incarné par la femme semble être un leitmotiv de votre écriture :)
J
Salut, ça faisait un bail que je n'étais passé sur ton blog...faut dire que j'erre pas mal aussi en ce moment mais pour te dire que je trouve le tout dernier chapitre du texte génial comme si tu étais en train de prendre une autre dimension.<br /> Bonne chance pour la suite<br /> jm
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