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Laurent Ducastel Ecrivain
10 avril 2017

POINT DE RUPTURE

Dès la première fois, j’ai su que nous allions être ensemble. D’une façon ou d’une autre, ce fut une évidence depuis le premier instant, depuis le premier jour. Même notre entourage semblait s’en être rendu compte qui me parlait d’elle à tout bout de champ. Ce n’était qu’une question de temps. Il allait être plus long que prévu : deux ans. Deux ans à nous tourner autour, à jouer au chat et à la souris. Deux longues années, où je passais de longues périodes sans la croiser. Je l’oubliais d’autant plus vite que je traversais une mauvaise passe qui s’éternisait. D’ailleurs, il fallait être réaliste : Comment vouliez-vous amorcer une relation durable quand vous n’aviez plus grand-chose à offrir ? On ne construit pas sur du sable. Et avec elle, pas question de faire le fanfaron. Cette femme avait un mari, une maison, des crédits, un train de vie. Je ne pouvais prétendre à rien de tout cela. Je vais vous dire, je ne me sentais pas de taille. Cette fille voulait du sérieux, du vrai, du concret. Et malgré, le feu qu’elle déclenchait en moi, je n’étais pas sûr d’être l’homme de la situation. Il faut avouer que j’avais, depuis longtemps, cultivé une prédilection pour les femmes des autres. C’était des relations où chacun savait ce qu’il venait chercher, des relations simples sans avenir ni espoir. On se jouait parfois la comédie de l’amour pour se donner un semblant de bonne conscience quand cela se résumait les trois quarts du temps à des étreintes torrides volées au présent qui nous asservit, du sexe dans l’urgence, dans des parkings ou dans des chambres d’hôtel minables et anonymes. Combien en avais-je connu ces vingt dernières années, de ces corps qui s’offraient sans faire de manière, qui aimaient se dégrader bien au-delà de l’entendement pour oublier juste un moment, les blessures, les plaies à vif de leurs âmes cabossées . J’étais bien en peine de le dire. Néanmoins, je ne regrettais rien même si ce n’était pas spécialement reluisant. J’avais vécu en leur compagnie tant de moments intenses et précieux que leurs souvenirs m’accompagnaient encore quand il m’arrivait de céder aux affres tristement ordinaires de la déprime carabinée. Ainsi même au plus mal, je tenais le coup en continuant d’aimer des fantômes. Je les aimais d’autant plus qu’elles m’avaient quitté pour un monde où je n’avais pas trouvé ma place.

 

Mais avec Amélie, il n’était pas question de cela. Amélie n’avait pas encore la trentaine et elle avait encore de l’espoir, encore un avenir. Elle avait surtout une revanche à prendre, une revanche qui mûrissait à l’ombre des années où elle avait avalé des couleuvres par dizaine. Une revanche qui attendait son heure et à la quelle, j’allais finir par servir de déclencheur. Trop jeune, elle avait épousé un copain de lycée qui s’était révélé être un rustre qui la traînait plus bas que terre, la traitait parfois comme on n'oserait pas le faire d’un chien. C’était l’exemple même du personnage affligeant, triste sire, triste figure, macho à deux balles avec sa fierté à la con de mâle minable en bandoulière. Un crétin authentique et pitoyable emplit jusqu’à la gueule de cette morgue misogyne, ravageuse et vindicative du parfait fils à sa maman.  Qu’avait-elle bien pu lui trouver ? Cela restera à jamais un mystère pour moi. Comment cette fille intelligente, dont chacun des sourires était habité d’une force de vivre hors du commun, comment avait-elle pu se retrouver dans les bras d’un pareil énergumène dont les préoccupations premières dans l’existence étaient : Les jeux vidéos, le foot, la fumette, la picole et la masturbation intensive. Le pire c’est qu’elle avait atermoyé des mois avant de le quitter. Je connaissais parfaitement ce genre de situation. Une de mes ex avait eu un itinéraire assez similaire et j’avais raconté cette histoire dans mon premier livre. Seulement, j’avais quinze ans de plus et je ne tenais nullement à remettre le couvert. J’aimais savoir clairement où j’allais et là, ce n’était pas le cas. Enfin, jusqu’à ce fameux soir de novembre. À force de la traiter avec mépris, de la rabaisser en permanence sans qu’elle ne moufte vraiment, il finissait par pousser le bouchon de plus en plus loin. Pour faire rire la horde de copains qui stagnait chez eux, il ne reculait devant aucune bassesse sans même s’en rendre compte. Il se croyait drôle, spirituel alors qu’en fait, il sciait la branche sur laquelle il était assis. Et c’est ce soir-là, qu’elle a fini par céder. D’un coup, sec et brutal. Soudainement, Amélie ne put plus rien encaisser. Les remontrances, les vexations restèrent coincées dans sa gorge. Dans la pénombre de sa cuisine toute équipée, elle s’était mise à fondre en larme. Un océan de larmes brûlantes roulait sur les joues. Elle avait atteint le point de rupture et enfermée dans les toilettes, elle m’avait envoyé un SMS. Il avait fallu trois semaines à son mari pour nous retrouver. Trois semaines fragiles, difficiles parfois, mais trois semaines ensemble. Enfin.

       

      Maintenant, il cognait à la porte, des pieds et des poings en vociférant des insultes ignobles. J’avais eu une semaine infernale et franchement me colleter avec lui était bien la dernière chose dont j’avais envie. Seulement, je savais que je ne pourrais pas passer à travers. Appeler les flics ne ferait que renforcer sa rage. Et elle était déjà si intense, à la mesure de l’humiliation qu’il subissait et des cinquante messages dégueulasses qu’il lui laissait par jour sur son portable. Non, si je voulais qu’il ne revienne plus à la charge, je devais lui clouer le bec. Bon, c’était vite dit. Car même si je n’avais rien d’un gringalet, il devait objectivement m’être physiquement supérieur. De plus, j’étais vraiment crevé et à la suite de plusieurs accidents de motos, j’étais devenu plus fragile. Quatorze fractures finissent par laisser des traces sur un homme. Enfin, il avait presque quinze ans de moins que moi. Seulement, plus jeune, j’avais pratiqué beaucoup de sport de combat à un niveau élevé et je savais encore parfaitement où et comment cogner pour lui faire mal . Dernier avantage à porter à mon crédit, j’étais gaucher, cela avait souvent joué en ma faveur. Pendant qu’Amélie s’enfermait dans la chambre et que son mari marinait sur le palier, au grand désarroi des voisins, j’enroulais un torchon de cuisine légèrement humide sur mon poing. Mon plan était on ne peut plus simple : sachant que je ne tiendrai pas longtemps contre lui, il me faudrait être rapide où alors les choses risquaient de devenir beaucoup plus compliquées. Après avoir soufflé un bon coup, j’ouvrai brusquement la porte et là sans attendre, il se rua sur moi, emporté par sa colère. Profitant de son élan et comme à la parade, je me désaxais et lui assénais un gauche énervé qui m’étonna moi-même. Je le cueillis bien à la pointe du menton. Sa tête alla directement faire connaissance avec le crépi du mur. Sa pommette n’y résista pas et il s’écroula sans grâce aucune sur mon paillasson. Son regard était maintenant inerte, brûlé par l’effet de surprise. Il ne comprenait pas ce qui venait de lui arriver. Un long filet de bave et de sang mêlés lui coulait sous la lèvre et venait mourir sur son blouson.    

-          Fils de pute, finit-il par marmonner à mon encontre en titubant sur ces cannes vacillantes, tu m’as piqué ma meuf. Je vais te pourrir la vie, sale bâtard !

-          Remballe ta merde, lui répondis-je mauvais en lui attrapant la tête par les cheveux. Cette meuf, je ne te l’ai pas piqué, connard. C’est toi qui l’a perdu.

-          Amélie, viens, on rentre à la maison, cria-t-il en désespoir de cause. Amélie, je vais faire des efforts. Je te promets, bébé, je te promets…

 

Mais Amélie ne se donna même pas la peine de répondre. Elle le toisa dédaigneusement et il sut alors instinctivement que la partie était pliée. Jamais il ne la retrouverait. Il aurait beau dire, il aurait beau faire, cette fois, c’en était bien fini. Ce type avait eu toutes les cartes en mains pendant des années et il avait tout gâché par frime, par bêtise. Oui, il avait tout cramé mais venait tout juste de s’en rendre compte. Il n’avait plus rien du flambeur que nous connaissions. C’était juste un petit garçon qui a cassé son jouet préféré pour faire le con devant les copains. J’ai vu distinctement la peine, la douleur immense s’immiscer en lui avant que les larmes ne soient trop dures à retenir et qu’elles déchirent ce qui restait en lui de fierté. Je l’ai regardé s’éloigner lentement sous la pluie de novembre tandis qu’Amélie plongeait ma main gauche qui enflait à vue d’œil dans un bain de glaçons.  Puis dans un éclat de rire nerveux, elle me serra dans ses bras du plus fort qu’elle pouvait cependant que ma main valide filait sous son tee-shirt. La nuit qui s’annonçait n’allait pas être perdue pour tout le monde.

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Commentaires
A
beau blog. un plaisir de venir flâner sur vos pages. une belle découverte et un enchantement.N'hésitez pas à venir visiter mon blog en lien ici : http://mondefantasia.over-blog.com/<br /> <br /> au plaisir
A
Merci Thierry. Pour le recueil, j'y pense d'autant plus que tu n'es pas le seul à me le dire.
T
Hello Mister Laurent<br /> <br /> Toujours un plaisir de te lire, mais à quand un recueil de toutes ces histoires?
L
Imagination ou vécu.... Pas important ! La réalité parfois dépasse la fiction, des ordures hélas existent bel et bien. Moi ce que j'ai aimé c'est le "jeu", on se croise, on se regarde, on ne fait rien..... On y pense, ça recommence..... et enfin on concrétise.....😍😏😉
J
Oui, on reconnait quelques crétins rencontrés par le passé. Ca existe, malheur à eux !!! bravo pr tes écrits. Bise
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