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Laurent Ducastel Ecrivain
16 janvier 2017

VINDICTE ORDINAIRE

Ma main a frappé d’un coup sec sur le carrelage encore humide. Le moustique a éclaté sans avoir le temps de comprendre. Maintenant, ces petites tripes s’étalaient avec impudeur sur la dalle blanche immaculée. Il y a des jours où les moustiques ne sont pas très vifs et c’était un jour comme ça. Sur la table de la cuisine, il y avait une lettre à l’entête du syndic de la cité, la cinquième depuis le début du mois, qui répétait la même chose : quand allez-vous enlever votre véhicule accidenté du parking ? Suivaient les mots sanctions, à vos frais, etc.… J’avais beau leur expliquer que je m’en occuperais sitôt terminé l’enregistrement sur lequel je travaillais, ils ne voulaient rien entendre. C’est à croire que ma caisse accidentée devenait un sujet obsessionnel pour tous ces parvenus à la petite semaine qui colonisaient peu à peu la cité, qu’ils n’en dormaient ni n’en bouffaient plus. C’est qu’ils devaient sacrément se faire chier  tous ces rats de bureaux pour, le soir venu, aimer à ce point jouer les redresseurs de torts au sein de la copropriété. Ils tenaient des réunions dans la cave entre propriétaires en se donnant des grands airs pour décider, que dis-je, pour présider à l’avenir de la résidence, ainsi qu’ils la nommaient. La différence entre eux et nous était toute simple : ils étaient propriétaires et nous simples locataires. Ils habitaient là depuis six mois, d’autres depuis deux, trois ans et nous depuis plus de deux décennies, mais ils voulaient tout régenter, dicter leurs lois et nous aurions dû leur obéir servilement, sans broncher. Peut-être même qu’ils auraient apprécié que nous baissions la tête sur leur passage en signe de respect. C’est qu’ils aimaient ça tous ces crétins pâlots, le respect.  Ça leur donnait l’impression d’être importants, d’avoir réussi. Et quelle réussite, mes amis ! Ce n’était pas un château en Espagne dont il s’agissait, mais un simple T4 salon, salle à manger plus deux chambres. Un Éden sur 80m2, un paradis pour petits cadres dégarnis. Cela pouvait sembler dérisoire, mais pour beaucoup d’entre eux, c’était déjà le bout du monde. Ils en avaient pris pour vingt ans, pieds et poings liés à un crédit qui leur faisait suer sang et eau. C’était ça leur vie, c’était ça leur futur. Le pire, c’est que certains, et pas les moins virulents, n’avaient pas encore atteint la trentaine. Heureusement, pour combler le vide de leur putain d’existence, ils m’avaient moi, mais aussi mon voisin avec ses trois gosses, trois petits furieux tout blonds qui enchaînaient les conneries avec une rigueur métronomique. C’est qu’il fallait bien qu’ils en aient pour leur compte, tous ces héros de banlieue, sinon on se demande ce qu’ils auraient fait de leur soirée. Probablement qu’ils se seraient plantés devant la télé, à faire du lard, vautrés sur leurs canapés en cuir en attendant que la mort n’emporte le morceau. C’est sûr que d’un autre côté, ils ne pouvaient pas tellement compter sur leur épouse pour rigoler un peu. D’ailleurs, c’est drôle parce qu’elles avaient toutes le même look et finissaient par se ressembler. C’était, comme le dit l’immense Brel, le genre qui aimerait avoir l’air, mais qu’a pas l’air du tout. Ce n’était que des ombres permanentées et insignifiantes, sans vie, sans flamme, avec de la cellulite au cul, des seins qui tombaient sous leur polo Lacoste rose et des libidos de mémère avant l’heure. Il fallait les voir, tous ensembles, le dimanche. C’était le défilé des affreux. Surtout aux beaux jours quand ils paradaient dans leur tenue de sport, lunettes noires sur le nez et raquettes de tennis à la main, singeant les nantis dont les magazines people faisaient leurs gorges chaudes. Et c’est des heures entières qu’ils discutaient, complotaient, s’enflammaient contre ces maudits locataires sans gènes qui, décidément, ne respectaient rien avec leurs chiens qui pissaient partout, leurs gamins bruyants, mal élevés, leurs mauvais goûts affichés. Mon Dieu, on se demande où l’on va ! Voilà ce qu’ils se disaient les propriétaires trop bien entre eux à cultiver leur petite haine de tout et de rien, coincés dans leurs habitudes, dans leur vision d’un monde propre, lisse et forcément blanc. À titre personnel, je n’en avais pas, moi, de la haine à leur égard, tout juste du mépris.

 

En attendant, ma mère, ça l’inquiétait d’avoir des frais, à nouveau. J’allais encore au-devant des problèmes. J’ai relu au moins trois fois la lettre et j’en avais la nausée tellement le style était mesquin et vicieux. Aucun d’entre eux n’avait le courage de venir me dire les choses en face. Quand je les croisais, ils étaient tout miel, tout sucre. Les fumiers ! Il leur fallait des lettres avec cachet pour abriter leur médiocrité. Ce n’était que lâcheté, veulerie et compagnie. Ils ne savaient que vous épier, bien à l’abri derrière leurs fenêtres, vous jugeant sans appel de leurs regards froids et inquisiteurs. C’était ignoble comme mentalité. Ignoble et bien pensant. Voilà qui étouffait toute jeunesse, toute vie dans la cité. Plus ça irait, plus ils avanceraient en âge, plus ils deviendraient irritables, moins ils supporteraient les autres. À terme, l’intolérance finirait par être au centre de leur existence et autour d’eux le monde ne serait qu’un enfer. Un enfer doré aux valeurs nauséabondes.

L’un d’eux travaillait dans une société pétrolière et stockait, illégalement, des produits inflammables au sous-sol. J’ai fait comme quand j’étais gosse. Je me suis faufilé dans sa cave et ai piqué un de ces sacrés bidons bleus électriques. La nuit coulait doucement et me regardait faire. J’ai aspergé la voiture avec le produit. En fait, ça me fendait le cœur d’en arriver là. C’est dingue ce que je peux m’attacher aux voitures ! Mais bon, c’est la vie. J’ai laissé le bidon dans une poubelle à proximité, sans trop chercher à le cacher. Puis, j’ai allumé une clope et le vent glacé qui soufflait à travers la nuit à fait le reste. En rentrant, j’ai appelé les flics. Dix ans après, les commères du quartier en parlaient encore !

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Commentaires
L
Le mépris est pire que la haine.......... Mais qu'elle violence !!!!
T
j'aime beaucoup le début. Ensuite, excuse-moi mais çà part dans tous les sens et je me suis lassé : C'est trop ou pas assez. J'aurais aimer rester sur ce moustique et les affres du quotidien, sublimé par l'écrivain... <br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> Thierry.
J
Oh Laurent, que j'aime ce ton sarcastique, ironique et contestataire !!!! Surtout, ne change jamais !
C
J'ai perdu ton adresse mail et je savais plus comment te joindre alors me suis rappellé ton blog et je te laisse se commentaire avec mon adresse mail, enfin celle que je consulte régulièrement. J'ai filé 36éme dessous à une amie qui a visblement aimé ton style, je vais lui filé l'adresse de ton blog pour qu'elle vienne te le dire elle-même. A une prochaine,<br /> <br /> Christophe le cousin de carine :)
O
J'aime bien quand tu as la rage comme ça ! ce que tu racontes me semble tellement juste ! par dessus tout , j'ai la réelle impression de t'entendre parler quand je te lis ! je vois les lieux que tu décris et malheureusement imagine le reste !
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