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Laurent Ducastel. Photo: Olivier Jollant
Ce matin en me réveillant, j’avais conscience que ce n’était pas un jour quelconque. Enfin je parle pour moi, évidemment ! Pour des milliards de gens, ce sera une journée ordinaire. Mais pour ma pomme, cette journée est censée marquer un tournant. Que dis-je ! Un cap dans la vie d’un homme. Eh oui, mes bons amis, aujourd’hui j’ai quarante ans. Ainsi, ça n’arrive pas qu’aux autres. Cette fois, c’est bien mon tour. Quarante balais au compteur, ce six décembre 2005. Ce matin donc, j’ouvre les yeux, vaguement inquiet. C’est vrai, suis-je toujours le même ? La nuit qui vient de s’achever peut-elle m’avoir brutalement transformé, tel ces gens qui blanchissent d’un seul coup. Me suis-je métamorphosé en un fan transi de Franck Michael ou en en un réactionnaire bon teint, adorateur beat de la politique du pire de l’ignoble Sarkozy ? Suis-je, à mon tour, sans m’en rendre compte, venu grossir les hordes de groupies séniles de Derrick, entre une tisane verveine menthe et une partie de belote ? Ce matin, vais-je soudainement regarder les petites vieilles d’un autre oeil ? Oh non ! Pitié ! Saint Jim Morrison, préservez-moi ! Je jure d’être un mauvais sujet et de ne pas être raisonnable pour le restant de mes jours. Veillez sur moi, Saint John Lennon ! Je jure sur ma Fender Télécaster de continuer à pourfendre de plus belle les connards et les abrutis de tous bords et d’y prendre un plaisir sans faille. Mais, de grâce, épargnez-moi !
En fait, non. Apparemment, rien du cataclysme annoncé n’est arrivé. Ce matin, comme tous les six décembre, il caille. A première vue, rien a changé. Je suis entier. Mes cheveux, enfin ceux qu’il me reste, sont au grand complet. Mes cicatrices et mes kilos en trop aussi. Ensuite, je tiens à rassurer tout le monde, avoir quarante ans ne fait pas mal. En tous cas, je ne sens rien. Tant moralement que physiquement, tout à l’air dans l’ordre. Je venais de finir de déjeuner quand soudain, je ne sais pas pourquoi, j’ai repensé à la fête d’Etienne. La fête de ses quarante ans, justement. Etienne est un vrai pote, un fidèle depuis tellement longtemps qu’il est devenu bienséant de ne pas le dévoiler. Ensembles, nous avons sévit dans le même groupe, poussé par l’amour de groupes comme Echo And the Bunnymen et autre Clash. Nous avons donné notre premier concert ensembles. C’est quand même le genre de chose qui soude des hommes, ça ! Et voilà que là, sans préavis et sans une once d’humour, il m’annonce : Je reprendrai la basse quand je serai à la retraite. AAAAAHHHHH !!! La retraite, quelle retraite ? Et puis quoi encore ? Non !!! Pas ça ! Pas la retraite !!!! Putain, mais… Mais, c’est pour les vieux et je me sens fort comme jamais, au sommet de mon art ! Je ne veux pas de retraite, je ne veux même pas y penser. Misère !!! Il m’a foutu les pétoches, ce con ! Donnez-moi vite une transfusion de rock bien sauvage. Comme tous les grands malades, j’ai ma trousse de secours perso : Au programme, du Stones, du Iggy, du Led Zep, du Bowie entre autres. Bref, vous l’aurez compris, pas de fioriture dans l’urgence. Du vital, de l’efficace, du bon gros rock qui tache. Sans attendre, je fonce sur ma chaîne stéréo millésimée 1978, en manque de ma chansonnette favorite du moment : L’inaltérable " Baby please don’t go ". Comme je suis un tordu et qu’il me faut du brutal, j’enfile la version de Webb Wilder. Oh oui ! Trois fois de suite, mes bons amis, volume à fond, j’hurle à tue tête comme l’adolescent attardé que j’avoue ne pas avoir totalement cessé d’être. Yes ! Ça me fait encore un effet du tonnerre. Le frisson est bien là. Rien à bouger. Ouf ! J’ai l’impression de l’avoir échappé belle. Pour parachever, ce bilan matinal. Je fonce au garage, prends ma bécane et grimpe illico à des vitesses que la morale bien pensante et le politiquement correct réprouvent. Qu’importe ! Je me sens vivant comme jamais. Et c’est déjà, pour moi, une bonne nouvelle. Pour le reste, ma foi, nous verrons plus tard. Aujourd’hui, j’ai quarante ans. Ah, bon ?